Le géant du logiciel a beau avoir dépassé les attentes pour son dernier trimestre, Wall Street reste sceptique sur sa capacité à monétiser efficacement l’intelligence artificielle face à une concurrence de plus en plus agressive.
Adobe a vu son cours chuter de 13% après la publication de ses résultats trimestriels, malgré des performances supérieures aux attentes des analystes. Une douche froide pour l’éditeur de Photoshop qui peine à convaincre les marchés de la pertinence de sa stratégie en matière d’intelligence artificielle générative.
Des résultats solides éclipsés par des doutes persistants
Pour son premier trimestre fiscal clos le 28 février, Adobe a livré des chiffres honorables :
- Bénéfice par action ajusté : 5,08 dollars (vs 4,97 dollars attendus)
- Chiffre d’affaires : 5,71 milliards de dollars (vs 5,66 milliards attendus)
- Croissance des revenus : +10% sur un an
Le bénéfice net a bondi à 1,81 milliard de dollars (4,14 dollars par action), comparé aux 620 millions (1,36 dollar par action) enregistrés à la même période l’an dernier.
Ces performances n’ont pourtant pas suffi à rassurer les investisseurs, focalisés sur les perspectives de croissance à moyen terme. Pour le trimestre en cours, Adobe table sur :
- Un BPA ajusté entre 4,95 et 5,00 dollars
- Des revenus entre 5,77 et 5,82 milliards de dollars
Ces prévisions, légèrement en deçà du consensus des analystes, suggèrent un ralentissement de la dynamique de croissance.
Le talon d’Achille : une stratégie IA qui peine à convaincre
Au cœur des préoccupations des investisseurs se trouve la stratégie d’Adobe en matière d’intelligence artificielle générative. L’entreprise a révélé que les revenus annualisés récurrents (ARR) liés à l’IA ont atteint 125 millions de dollars sur le trimestre, un chiffre que la direction prévoit de doubler d’ici la fin de l’année fiscale.
« Non seulement nous intégrons l’IA dans nos produits existants et créons de la valeur, mais il est clair que l’innovation que nous avons apportée génère de nouveaux flux de revenus », a déclaré Shantanu Narayen, PDG d’Adobe, lors d’une interview accordée à CNBC.
Cependant, cette affirmation n’a pas suffi à dissiper les craintes selon lesquelles Adobe perdrait du terrain face à des concurrents comme Microsoft et OpenAI. Plusieurs analystes pointent l’absence d’une feuille de route claire pour la monétisation de l’IA. Mark Moerdler, analyste chez Bernstein, indique que « pour croire qu’Adobe est un gagnant dans l’IA et que celle-ci ne remplace pas les flux de revenus existants, les investisseurs ont besoin d’observer des tendances à plus long terme. » Keith Weiss de Morgan Stanley ajoute que bien que « la nouvelle divulgation de la contribution de l’IA générative soit un pas dans la bonne direction », une feuille de route plus précise est attendue lors de la prochaine réunion des investisseurs, prévue la semaine prochaine durant la conférence annuelle de l’entreprise.
Des perspectives 2025 qui inquiètent Wall Street
Pour l’ensemble de l’exercice 2025, Adobe a fourni les projections suivantes :
- BPA ajusté : entre 20,20 et 20,50 dollars
- Chiffre d’affaires : entre 23,3 et 23,55 milliards de dollars
Ces chiffres impliquent une croissance d’environ 9% au milieu de la fourchette, un rythme jugé trop modeste par de nombreux investisseurs, qui s’attendaient à un effet plus dynamisant de l’IA sur la trajectoire de croissance. La comparaison avec des acteurs comme Microsoft, qui affiche des taux de croissance à deux chiffres grâce à ses services cloud intégrant l’IA, accentue les doutes quant aux ambitions d’Adobe.
Un modèle économique en transition
Adobe a initié ces dernières années une transformation majeure de son modèle d’affaires, passant de la vente de licences perpétuelles à un système d’abonnement (Creative Cloud). Bien que cette mutation ait permis de générer des revenus récurrents plus prévisibles, l’émergence de l’IA générative pourrait rebattre les cartes.
Les investisseurs s’interrogent : Adobe parviendra-t-il à maintenir sa position dominante dans l’édition créative face à des alternatives gratuites ou moins coûteuses dopées à l’IA ? Le défi est double :
- Protéger sa base d’utilisateurs existante en intégrant efficacement l’IA à ses outils phares (Photoshop, Illustrator, Premiere Pro)
- Créer de nouvelles sources de revenus en développant des offres spécifiquement conçues autour de l’IA générative
Adobe Firefly, son modèle d’IA générative lancé en 2023, constitue une pièce maîtresse de cette stratégie, même si la question de sa monétisation reste ouverte.
Qu’attendre de la prochaine conférence Adobe MAX ?
Tous les regards se tournent désormais vers la conférence annuelle d’Adobe et sa réunion avec les investisseurs, prévues la semaine prochaine. La direction devra y présenter une vision convaincante de sa stratégie IA et de ses perspectives de croissance.
Les analystes espèrent notamment obtenir :
- Des détails sur la stratégie de tarification des fonctionnalités IA
- Une feuille de route précise pour l’intégration de l’IA dans l’ensemble du portefeuille de produits
- Des objectifs chiffrés concernant la contribution de l’IA aux revenus sur les prochaines années
L’avenir d’Adobe dépendra en grande partie de sa capacité à démontrer que son écosystème créatif reste incontournable, même dans un monde où l’IA peut générer du contenu de qualité en quelques secondes. Pour l’heure, les marchés semblent adopter une position attentiste, reflétée par cette correction boursière significative, et la pression est désormais sur les épaules de Shantanu Narayen et de son équipe.