Anduril aux commandes des lunettes futuristes de l’armée américaine : Microsoft passe le flambeau d’IVAS
L’armée américaine pourrait bien changer de monture. Après des années de développement tumultueux et des milliards de dollars investis, le programme IVAS (Integrated Visual Augmentation System), destiné à équiper les soldats de lunettes de combat augmentées, est sur le point de changer de main. Microsoft, initialement à la tête du projet, s’apprêterait à céder les rênes à Anduril Industries, une jeune pousse spécialisée dans les technologies de défense autonome, dans le cadre d’un contrat pouvant atteindre 20 milliards de dollars. Une transition qui soulève autant d’espoirs que d’interrogations.
IVAS : un projet ambitieux plombé par les difficultés
Retour en 2018. L’armée américaine, rêvant d’un soldat augmenté, lance le programme IVAS. Imaginez des lunettes connectées offrant une vision nocturne, un affichage tête haute projetant des informations cruciales (cartes, positions ennemies…), et même des simulations d’entraînement intégrées. Un véritable couteau suisse technologique, basé sur les HoloLens 2 de Microsoft, promis à un avenir radieux et un contrat juteux de 22 milliards de dollars.
Sauf que la réalité du terrain a rapidement douché les espoirs. Les premiers tests ont révélé des défauts importants : nausées, maux de tête induits par la réalité augmentée, champ de vision trop étroit (seulement 70°), poids excessif… Les critiques, internes comme externes, se sont multipliées, pointant du doigt un système loin d’être prêt pour le combat.
En 2023, face à l’accumulation des retards et un rapport accablant du Pentagone, l’armée a revu sa copie. Le programme IVAS a été scindé en trois phases (1.0, 1.1, et 1.2) avec un retour partiel aux bonnes vieilles lunettes de vision nocturne classiques comme l’ENVG-B, jugées plus fiables et moins problématiques. À ce jour, seulement 10 000 unités IVAS auraient été livrées.
Anduril : le nouveau visage d’IVAS ?
C’est dans ce contexte délicat qu’intervient Anduril Industries. Fondée en 2017 par Palmer Luckey, le créateur de l’Oculus Rift (racheté par Meta), cette entreprise se spécialise dans les systèmes de défense autonome, notamment les drones et les logiciels de surveillance. Un partenariat stratégique avec Microsoft, annoncé en septembre 2024, laissait déjà entrevoir ses ambitions pour IVAS.
L’idée ? Intégrer la plateforme Lattice d’Anduril au système existant. Lattice, c’est une sorte de système nerveux numérique qui relie et analyse les données provenant de multiples sources (drones, capteurs, caméras…). Appliquée à IVAS, cette technologie promet :
- Une interface unifiée : centraliser toutes les informations, qu’elles proviennent de drones en vol, de capteurs au sol ou de systèmes de surveillance maritime.
- Des algorithmes en temps réel : analyser la situation et proposer des solutions tactiques aux soldats, directement dans leur champ de vision.
- Des capteurs optiques améliorés : réduire les déformations visuelles et la latence, deux points noirs des précédentes versions d’IVAS.
Un contrat à 20 milliards et beaucoup d’inconnues
Le transfert de la gestion et de la production d’IVAS à Anduril est estimé à 20 milliards de dollars, soit une somme légèrement inférieure au contrat initial avec Microsoft. Un signe que l’armée américaine, soumise à des contraintes budgétaires croissantes, cherche à optimiser ses dépenses.
Mais avant que l’encre ne sèche, ce contrat doit encore être approuvé. Et les obstacles ne manquent pas. Des tests récents menés par le 75th Ranger Regiment, une unité d’élite de l’armée américaine, ont révélé des problèmes persistants, notamment dans la gestion des situations nocturnes. Anduril assure avoir corrigé le tir avec un nouveau design modulaire, un champ de vision ajustable (60°-70°) et une batterie amovible. Reste à convaincre les soldats sur le terrain, qui ont exprimé de fortes réserves sur l’ergonomie des premières versions.
L’intégration de la plateforme Lattice dans un système préexistant pose également des défis techniques. Comment fusionner deux architectures différentes sans créer de nouvelles failles ? Et que dire des potentielles enquêtes du Congrès, toujours attentif aux dépenses militaires, surtout après les déboires passés d’IVAS ?
Un bouleversement dans l’industrie de la défense
Ce potentiel changement de cap a des répercussions importantes sur l’industrie de la défense. Pour Microsoft, ce retrait partiel lui permet de limiter les risques financiers tout en maintenant une présence dans le secteur militaire via son partenariat avec Anduril. Pour cette dernière, c’est une opportunité en or de consolider sa position de fournisseur de systèmes tactiques de pointe, après le succès rencontré avec ses drones Lattice.
D’autres acteurs, comme Palantir, spécialisé dans l’analyse de données, ou Kopin, fabricant de visiocasques, pourraient contester ce contrat et proposer des alternatives. L’avenir d’IVAS, et plus largement du soldat augmenté américain, reste donc incertain. Mais une chose est sûre : ce feuilleton technologico-militaire est loin d’être terminé. Les innovations développées pour IVAS, notamment dans le domaine de la réalité augmentée et de l’analyse de données en temps réel, pourraient d’ailleurs avoir des applications bien au-delà du champ de bataille, ouvrant de nouvelles perspectives dans des secteurs comme la santé ou les transports. L’armée américaine, malgré les difficultés rencontrées, continue d’investir massivement dans ces technologies, convaincue que la maîtrise du numérique sera la clé des conflits futurs.
