La saga judiciaire entre Apple et Epic Games connaît un nouveau rebondissement. Après avoir essuyé une défaite cinglante la semaine dernière dans sa bataille juridique contre l’éditeur de Fortnite, Apple ne compte pas abandonner la partie. Le géant de Cupertino a déposé lundi un recours devant la cour d’appel du neuvième circuit pour contester la décision qui l’empêche de prélever des commissions sur les achats effectués en dehors de l’App Store.
Une défaite aux conséquences majeures pour l’écosystème Apple
La décision rendue la semaine dernière par la juge Yvonne Gonzalez Rogers représente un tournant majeur dans l’économie des applications mobiles. Elle interdit à Apple de facturer des frais aux développeurs pour les transactions réalisées en dehors de sa plateforme – un coup dur pour un écosystème qui a généré plus de 85 milliards de dollars en 2024.
Cette décision remet fondamentalement en question le modèle économique de l’App Store tel qu’il existe depuis 17 ans. Si elle est maintenue, c’est potentiellement des milliards de revenus qui s’envoleront.
Le recours déposé par Apple était attendu, tant les enjeux sont colossaux. La firme de Tim Cook a toujours défendu bec et ongles sa commission de 15 à 30% prélevée sur chaque transaction, la jugeant légitime au regard des investissements réalisés dans son écosystème.
Un conflit qui dure depuis 2020
Pour comprendre l’ampleur de cette bataille juridique, il faut remonter à août 2020. À l’époque, Epic Games avait délibérément enfreint les règles de l’App Store en proposant aux joueurs de Fortnite d’acheter des V-Bucks (la monnaie virtuelle du jeu) directement via son propre système de paiement, contournant ainsi la commission d’Apple.
La réaction ne s’était pas fait attendre : Fortnite avait été banni de l’App Store, et Epic avait immédiatement lancé une offensive juridique contre ce qu’il qualifiait de « monopole abusif ».
Des accusations graves contre Apple
L’année dernière, Epic a relancé l’affaire en accusant Apple de ne pas respecter l’injonction d’« anti-steering ». Et c’est là que les choses se sont considérablement aggravées pour la firme de Cupertino.
Non seulement la juge Rogers a donné raison à Epic, mais elle a également formulé des accusations particulièrement graves à l’encontre d’Apple. Elle a notamment estimé qu’Alex Roman, vice-président des finances d’Apple, avait menti sous serment – un fait suffisamment grave pour que l’affaire soit transmise au procureur fédéral du district en vue d’une éventuelle enquête criminelle.
Le tribunal conclut que M. Roman a sciemment fait de faux témoignages sous serment concernant les mécanismes et motivations derrière la commission de 27% sur les achats web.
La juge a également sanctionné Apple pour « utilisation abusive des désignations de privilège avocat-client afin de retarder la procédure », une pratique consistant à classer excessivement des documents comme confidentiels pour entraver l’avancée du procès.
Les arguments d’Apple pour son appel
Dans son recours, dont les détails complets ne sont pas encore publics, Apple devrait contester à la fois l’interprétation juridique et les conclusions factuelles de la juge Rogers. Ses représentants maintiennent que sa commission est justifiée par :
- Les coûts de développement et de maintenance de l’écosystème iOS
- Les investissements dans la sécurité des utilisateurs
- La propriété intellectuelle liée à l’App Store
- Le droit de définir les conditions commerciales sur sa propre plateforme
« Apple a créé l’App Store, et a le droit de définir les règles qui s’y appliquent tant qu’elles respectent la loi antitrust », avait déclaré Tim Cook lors d’une conférence en mars dernier.
Des conséquences potentiellement révolutionnaires
Si la décision était confirmée en appel, ce serait une révolution pour l’économie mobile. Les développeurs pourraient proposer librement des systèmes de paiement alternatifs sans être redevables à Apple.
La fragmentation des systèmes de paiement pourrait créer des failles que des acteurs malveillants ne manqueront pas d’exploiter.
Pour les consommateurs, cette bataille juridique promet potentiellement des prix plus bas, les développeurs n’ayant plus à répercuter la commission d’Apple. Mais elle pourrait aussi se traduire par une expérience utilisateur plus fragmentée et potentiellement moins sécurisée.
L’enjeu dépasse les frontières américaines
Cette affaire est suivie de près par les régulateurs du monde entier. En Europe, le Digital Markets Act impose déjà à Apple d’ouvrir son écosystème. En Corée du Sud, une législation similaire est en vigueur depuis 2022.
L’appel déposé par Apple sera examiné par la cour d’appel du neuvième circuit, basée à San Francisco. Cette juridiction, qui couvre la Californie et huit autres États de l’Ouest américain, est réputée pour sa jurisprudence souvent progressiste en matière de droit de la concurrence. Selon les experts, la procédure pourrait prendre entre 12 et 18 mois. D’ici là, la décision de première instance reste théoriquement applicable, sauf si Apple obtient un sursis – ce qu’elle ne manquera probablement pas de demander.
Ce n’est pas seulement une victoire pour Epic, mais pour tous les développeurs et consommateurs. Le futur de l’économie mobile doit être ouvert et équitable.
L’issue de cette bataille juridique pourrait bien redessiner durablement les contours de l’économie numérique mondiale.