Les géants chinois du numérique avaient anticipé le risque en accumulant près d’un million de puces H20 avant les nouvelles restrictions américaines
Les géants chinois du web ont réussi un sacré coup de poker. Selon nos informations, ByteDance, Alibaba et Tencent ont massivement stocké des puces d’intelligence artificielle Nvidia H20 ces derniers mois, pour une valeur estimée à plusieurs milliards de dollars, et ce juste avant que Washington ne décide de bloquer leur exportation vers la Chine en avril.
Une course contre la montre géopolitique
D’après les sources de Nikkei Asia, ces entreprises visaient l’acquisition d’environ un million de GPU H20 avant l’entrée en vigueur des nouvelles restrictions. Un timing parfaitement calculé puisque les trois mastodontes chinois avaient anticipé ce scénario dès l’année dernière.
Les grandes entreprises technologiques chinoises ont commencé à constituer des stocks dès la commercialisation des H20 en janvier, pressentant que ces puces pourraient à leur tour tomber sous le coup des restrictions.
– Responsable du secteur des semi-conducteurs
Le H20 était pourtant spécifiquement conçu pour contourner les premières restrictions américaines. Nvidia avait développé cette puce « bridée » spécialement pour le marché chinois, afin de répondre aux exigences des régulateurs américains tout en maintenant sa présence sur ce marché crucial.
Un investissement stratégique de plusieurs milliards
Les puces H20 sont commercialisées autour de 12 000 à 15 000 dollars l’unité selon les configurations. Un calcul rapide permet d’estimer que l’achat d’un million d’unités représente une dépense comprise entre 12 et 15 milliards de dollars pour les entreprises chinoises.
ByteDance, maison-mère de TikTok, aurait été particulièrement agressive dans cette stratégie d’approvisionnement. L’entreprise, qui développe intensivement ses capacités en IA pour améliorer ses algorithmes de recommandation et ses outils de création de contenu, aurait sécurisé environ 40% du volume total.
ByteDance a besoin d’une puissance de calcul considérable pour faire tourner ses modèles d’IA. Sans accès aux puces les plus avancées, son développement international pourrait être sérieusement entravé.
– Analyste du secteur
Le H20, victime de son propre succès
La puce H20 illustre parfaitement le casse-tête géopolitique auquel font face les fabricants américains. Conçue pour respecter les restrictions de performance imposées par les États-Unis tout en offrant des capacités suffisantes pour les applications d’IA, elle a finalement été jugée trop performante par l’administration américaine.
Selon des experts en semi-conducteurs, la combinaison de plusieurs H20 dans des configurations spécifiques permettrait de contourner les limitations individuelles et d’atteindre des performances proches des modèles haut de gamme interdits d’exportation.
Nvidia se retrouve ainsi dans une position inconfortable, comme l’a récemment admis son PDG Jensen Huang : « Ces restrictions vont profiter à nos concurrents, car les clients chinois vont se tourner vers des alternatives locales ou d’autres fournisseurs. »
Les alternatives chinoises en embuscade
Cette situation pourrait accélérer l’émergence de champions nationaux chinois des semi-conducteurs. Des entreprises comme Huawei, avec sa puce Ascend, ou Biren Technology tentent déjà de combler le vide laissé par les restrictions américaines.
« Le gouvernement chinois a alloué plus de 50 milliards de dollars au développement de l’industrie nationale des semi-conducteurs », rappelle un expert du secteur. « Mais il faudra plusieurs années avant que les puces chinoises n’atteignent les performances des composants Nvidia. »
En attendant, les géants chinois du web ont gagné un temps précieux grâce à leur stratégie d’accumulation. Avec leurs stocks actuels, ils pourraient maintenir leurs programmes de développement en IA pendant 18 à 24 mois selon les estimations.
Un marché stratégique pour Nvidia
Cette affaire souligne l’importance du marché chinois pour Nvidia. Avant les restrictions, la Chine représentait environ 20% du chiffre d’affaires global de l’entreprise, soit près de 10 milliards de dollars annuels.
Le fabricant américain avait rapidement réagi aux premières restrictions en développant les modèles H20, A800 et A100, spécifiquement conçus pour le marché chinois. Mais cette stratégie d’adaptation atteint désormais ses limites face au durcissement de la position américaine.
Des conséquences économiques et technologiques majeures
Pour les entreprises chinoises, l’accès aux puces les plus performantes est une question de survie technologique. Sans elles, il leur serait impossible de développer des modèles d’IA générative compétitifs face à OpenAI, Anthropic ou Google.
Pour ByteDance, ne pas être à la pointe de l’IA signifierait perdre sa capacité d’innovation sur des applications comme TikTok.
– Analyste du secteur
Du côté d’Alibaba et Tencent, l’enjeu est similaire : maintenir leur compétitivité dans le cloud computing, les assistants virtuels et les systèmes de recommandation qui font le succès de leurs plateformes.
Un nouveau chapitre dans la guerre technologique sino-américaine
Cette course aux puces s’inscrit dans un contexte plus large de découplage technologique entre les États-Unis et la Chine. Washington craint que les technologies d’IA avancées ne renforcent les capacités militaires chinoises, tandis que Pékin dénonce une tentative d’entrave à son développement économique.
Le ministère chinois du Commerce a d’ailleurs vivement réagi aux nouvelles restrictions, promettant des « mesures nécessaires pour protéger les droits légitimes des entreprises chinoises. »
Pour l’industrie mondiale des semi-conducteurs, cette situation crée une incertitude majeure. Les fabricants américains perdent des parts de marché importantes, tandis que les entreprises chinoises accélèrent leurs programmes de développement nationaux.
La stratégie d’accumulation mise en œuvre par ByteDance, Alibaba et Tencent pourrait bien leur donner l’avantage dans cette partie d’échecs technologique. Reste à savoir combien de temps durera cet avantage, et quelles seront les prochaines manœuvres dans cette guerre commerciale qui ne dit pas son nom.