Encore un câble sous-marin endommagé en mer Baltique. Rostelecom, géant russe des télécoms, a confirmé l’incident ce 8 février, évoquant un « impact externe ». Si le service n’a pas été interrompu pour les abonnés, l’événement résonne comme un coup de semonce dans un contexte géopolitique déjà explosif. Depuis des mois, ces artères vitales de l’internet, mais aussi de l’approvisionnement énergétique, sont la cible d’attaques répétées, nourrissant une dangereuse escalade des tensions entre l’Occident et la Russie.
Une Baltique sous haute tension : chronique d’une guerre hybride
La mer Baltique, autrefois symbole de coopération transfrontalière, est devenue le théâtre d’une guerre hybride où les câbles sous-marins, véritables nerfs de l’économie numérique, se retrouvent en première ligne. Rappelons que près de 70% des échanges de données entre l’Europe et le reste du monde transitent par ces infrastructures fragiles, posées à des milliers de mètres de profondeur. Une vulnérabilité que certains semblent bien décidés à exploiter.
- Décembre 2024 : le pétrolier fantôme. Le câble électrique Estlink 2, reliant l’Estonie à la Finlande, est gravement endommagé, privant des milliers de foyers d’électricité. Quatre câbles de télécommunication sont également touchés. L’Eagle S, un pétrolier russe naviguant dans la zone, est rapidement pointé du doigt. Moscou dément toute implication. Le coût des réparations, estimé à plusieurs dizaines de millions d’euros, et la durée de l’intervention, de plusieurs mois, témoignent de l’ampleur des dégâts.
Le pétrolier Eagle S photographié près des côtes finlandaises lors de l’enquête sur les dommages aux câbles. Source : Garde-côtes finlandais - Novembre 2024 : sabotage en eaux profondes. C’est au tour du C-Lion1, reliant la Finlande à l’Allemagne, d’être sectionné à 7 000 mètres de profondeur. Une prouesse technique qui laisse peu de doute sur le caractère intentionnel de l’acte. L’ombre de la Russie plane, mais les preuves formelles manquent.
- Janvier 2025 : un navire maltais sous le feu des projecteurs. Un câble fibre optique entre la Lettonie et la Suède est coupé. L’enquête pointe vers le Michalis San, un navire battant pavillon maltais. Saisie et fouille révèlent des équipements suspects. L’hypothèse du sabotage est privilégiée.
Ces incidents s’inscrivent dans un contexte d’escalade des tensions liées à la guerre en Ukraine et aux enjeux énergétiques. La Russie, accusée par plusieurs pays occidentaux, nie toute implication et dénonce une campagne de désinformation. Pourtant, l’intensification des exercices militaires russes en mer Baltique, notamment des opérations sous-marines et des activités suspectées de cartographie des câbles, alimente les inquiétudes.
L’OTAN et l’UE sur le pied de guerre : une course contre la montre pour sécuriser les infrastructures critiques
- Opération « Baltic Sentry » : l’OTAN monte la garde. Frégates, avions de patrouille maritime, drones : l’Alliance atlantique déploie des moyens importants pour surveiller la zone et dissuader toute nouvelle attaque. Les États-Unis renforcent leur présence militaire dans la région et multiplient les exercices conjoints avec les pays baltes. Un signal fort envoyé à Moscou.
Un navire de la marine danoise patrouillant en mer Baltique suite aux incidents de dommages aux câbles. Source : AFP/Ritzau Scanpix - L’UE mise sur la coopération et la cybersécurité. Consciente de la vulnérabilité de ses infrastructures, l’Union Européenne lance des initiatives pour cartographier précisément le réseau de câbles sous-marins et identifier les points faibles. La cybersécurité des stations de débarquement, véritables portes d’entrée du trafic internet et des réseaux 5G, est également renforcée. L’UE plaide pour une coopération transatlantique accrue face à cette menace commune.
Le défi est triple :
- Prévenir les attaques physiques. Si les câbles sont immergés à grande profondeur, ils restent accessibles à des navires équipés pour les endommager. Ancres traînantes, outils de découpe sous-marins, robots téléguidés : les techniques sont nombreuses.
- Contrer les cyberattaques. Les stations de débarquement, points névralgiques du réseau, sont des cibles privilégiées pour les pirates informatiques, notamment ceux liés à des États. Une cyberattaque réussie pourrait perturber le flux de données, voire prendre le contrôle d’infrastructures critiques.
- Garantir la résilience économique. Une panne prolongée des câbles sous-marins aurait des conséquences économiques désastreuses. Les transactions financières mondiales, le commerce électronique, les communications internationales : tout repose sur ces connexions invisibles. Leur interruption pourrait paralyser l’économie mondiale.
Déniable plausible et flou juridique : comment contrer la stratégie russe ?
La stratégie russe repose en grande partie sur le principe du « déniable plausible ». L’absence de preuves irréfutables permet à Moscou de nier toute implication, tout en envoyant un message clair : la Russie a la capacité de perturber des infrastructures essentielles à l’Occident.
Le flou juridique qui entoure ces incidents complique également les enquêtes. Les navires impliqués naviguent souvent sous pavillons de complaisance, et les sociétés qui les opèrent sont difficilement identifiables. L’UE travaille à l’élaboration d’un cadre juridique international pour mieux protéger les câbles sous-marins et poursuivre les responsables de ces actes de sabotage. Un traité inspiré de celui récemment adopté sur la protection des hauts fonds marins est envisagé.
L’incident du 8 février, même s’il n’a pas eu d’impact immédiat sur les utilisateurs, s’inscrit dans une logique d’escalade des tensions. Chaque câble endommagé est un signal, un avertissement. La mer Baltique est devenue un champ de bataille invisible où se joue une partie d’échecs géopolitique aux enjeux considérables. L’Europe et ses alliés doivent réagir avec fermeté et rapidité pour protéger leurs infrastructures critiques et dissuader toute nouvelle attaque. L’avenir de l’économie numérique mondiale en dépend.