Discord, plateforme de communication qui compte plus de 200 millions d’utilisateurs mensuels actifs dans le monde, annonce un changement à sa tête. Source : Discord/PR Newswire
C’est un véritable coup de tonnerre dans le monde de la tech gaming : Jason Citron, le fondateur et PDG historique de Discord, passe la main après 13 ans à la tête de l’entreprise. Il a choisi Humam Sakhnini, vétéran de l’industrie du jeu vidéo, pour prendre sa succession et mener la plateforme vers son « prochain chapitre ».
Un entrepreneur qui sait quand s’effacer
Pour ceux qui connaissent le parcours de Jason Citron, cette décision peut sembler surprenante. À 37 ans (en 2025), ce serial entrepreneur avait déjà connu un premier succès avec OpenFeint, une plateforme sociale pour jeux mobiles qu’il avait vendue en 2011 pour la coquette somme de 104 millions de dollars à Gree. Certains estimaient d’ailleurs qu’il s’en était séparé trop tôt, alors qu’il n’était encore que dans la vingtaine.
Avec Discord, lancé en 2015, Citron semblait parti pour rester jusqu’au bout de l’aventure, notamment jusqu’à l’introduction en bourse tant attendue qui pourrait valoriser l’entreprise à plusieurs milliards de dollars. Mais c’était sans compter sur sa vision pragmatique du rôle d’un PDG.
« Le rôle d’un PDG change à mesure que l’entreprise évolue », explique Citron. « De temps en temps, je dois me demander : est-ce que j’embauche quelqu’un pour lui confier le travail et m’élever, ou est-ce que j’embauche quelqu’un et… le boss final, c’est quand tu te licencies toi-même. »
Une philosophie qui reflète bien son approche entrepreneuriale : Jason Citron est avant tout un bâtisseur, plus à l’aise dans les phases initiales de création que dans la gestion d’une entreprise mature.
Discord : un parcours remarquable et mouvementé
Pour comprendre cette transition, il faut revenir sur l’histoire atypique de Discord. Tout commence avec la société Hammer & Chisel et son jeu Fates Forever, un MOBA (jeu d’arène de bataille en ligne multijoueur) pour tablettes qui n’a malheureusement pas rencontré son public face aux géants du genre comme League of Legends ou Dota 2.
Cependant, l’équipe avait développé pour ses besoins un outil de communication performant. C’est cet outil qui deviendra Discord, lancé officiellement en 2015 avec la mission simple de « créer un meilleur moyen de traîner ensemble avant, pendant et après les jeux ».
Le succès a été fulgurant : aujourd’hui, la plateforme compte plus de 200 millions d’utilisateurs actifs mensuels qui passent collectivement deux milliards d’heures à jouer à des milliers de jeux différents. Si Discord s’est temporairement diversifié pendant la pandémie en s’ouvrant à d’autres usages que le gaming, l’entreprise est revenue à ses racines depuis l’an dernier, développant de nouveaux moyens de monétisation via la publicité et les récompenses.
Cette stratégie porte ses fruits : Discord affiche une croissance continue de ses revenus et un EBITDA ajusté positif depuis cinq trimestres consécutifs, selon l’entreprise.
Humam Sakhnini : le choix de l’expérience
Pour succéder à Citron, Discord a misé sur un profil expérimenté. Humam Sakhnini était jusqu’à récemment vice-président d’Activision Blizzard, où il gérait un portefeuille valant plusieurs milliards de dollars comprenant des licences majeures comme Call of Duty, World of Warcraft et Candy Crush.
Son parcours chez King est particulièrement éloquent : il y a pris la succession du PDG fondateur Riccardo Zacconi et a fait progresser le résultat d’exploitation de l’entreprise de 600 millions à 1,3 milliard de dollars, notamment grâce au succès de Candy Crush.
« Ce que Jason et son équipe ont réalisé est incroyable », déclare Sakhnini. « Nous sommes en pleine dynamique, que ce soit avec les quêtes ou le SDK. Nous répondons aux attentes de notre communauté et notre produit fonctionne bien. »
Une IPO à l’horizon ?
La question que tout le monde se pose : cette transition signale-t-elle l’imminence d’une introduction en bourse ? Interrogé sur le sujet, Citron reste prudent : « Pas de plans spécifiques. Mais comme vous pouvez l’imaginer, embaucher quelqu’un comme Humam est un pas dans cette direction. »
La valorisation potentielle de Discord lors d’une future IPO fait l’objet de nombreuses spéculations, certains analystes évoquant des montants à deux chiffres en milliards de dollars.
Une culture d’entreprise centrée sur les joueurs
Ce qui frappe dans les témoignages des deux dirigeants, c’est l’importance accordée à la mission première de Discord : servir les joueurs et les développeurs.
« Notre entreprise, Discord, existe parce que nous nous mettons chaque jour au service des joueurs et des développeurs », affirme Citron. « Une grande partie de la passion de tous les membres de l’entreprise, et de Humam dans sa carrière, vient de cette volonté de ravir les joueurs et d’aider les développeurs à donner vie à leur créativité. »
Cette culture est symbolisée par la carapace bleue de Mario Kart affichée sur le mur des bureaux de Discord, rappelant ces moments mémorables de jeu entre amis que la plateforme cherche à faciliter.
Avec près de 900 employés partageant cette passion, Discord semble bien armé pour aborder cette nouvelle phase de son développement, qui inclut notamment le déploiement de son SDK social et son système de quêtes, présentés lors des deux dernières éditions de la Game Developers Conference (GDC).
Et après pour Jason Citron ?
Quant à Jason Citron, s’il reste au conseil d’administration et conseiller du PDG, ses projets immédiats sont plus… ludiques.
« Je dois finir Final Fantasy VII Rebirth. J’ai un backlog. Je veux jouer à Blue Prince. Je n’ai même pas joué à Baldur’s Gate III, croyez-le ou non. Ces incroyables jeux de 100 heures, c’est difficile de s’y mettre avec de jeunes enfants et une entreprise à diriger. »
Une remarque qui illustre parfaitement pourquoi Discord a été créé : faciliter ces moments précieux de jeu que même son fondateur peine à s’accorder.
Alors que l’industrie du jeu vidéo traverse une période de turbulences, avec des licenciements massifs et des restructurations, Discord fait figure d’exception avec cette transition en douceur qui semble préfigurer une nouvelle phase d’expansion plutôt qu’un repli stratégique.