Des utilisateurs populaires de X (anciennement Twitter) affirment que leur portée sur la plateforme a chuté drastiquement après avoir critiqué son propriétaire, Elon Musk. Une enquête du New York Times révèle comment le milliardaire pourrait utiliser son pouvoir pour faire taire ses détracteurs, malgré ses promesses d’être un « absolutiste de la liberté d’expression ».
Quand la critique d’Elon Musk devient risquée sur sa propre plateforme
Le New York Times a identifié trois utilisateurs de X qui, après s’être opposés à Elon Musk en décembre dernier sur la question des visas de travail, ont vu leur audience s’effondrer du jour au lendemain. Ces comptes, tenus par des personnalités d’extrême droite habituellement très suivies sur la plateforme, constituent les exemples les plus flagrants d’une possible répression des critiques par le milliardaire.
Anastasia Maria Loupis, qui gérait un compte populaire recevant quotidiennement des centaines de milliers de vues pour ses commentaires d’extrême droite et ses théories conspirationnistes, a vu sa portée s’effondrer après avoir critiqué le soutien de Musk aux programmes de visas que de nombreux partisans de Trump abhorraient.
C’est décevant parce que nous l’avons soutenu et avons vraiment cru en lui.
— Anastasia Maria Loupis
Une chute d’audience trop brutale pour être naturelle
L’analyse des données montre que la baisse de visibilité n’était pas progressive mais immédiate. Pour Laura Loomer, influenceuse d’extrême droite comptant plus d’un million d’abonnés, tout a basculé lorsqu’elle a attaqué Musk en décembre en écrivant qu’il était « exposé » pour son soutien aux programmes de visas.
Loomer cherche l’attention. Ignorez-la.
— Réponse de Musk
Presque instantanément, la portée de ses publications a chuté. Cette situation a perduré pendant des semaines, jusqu’à ce que ses posts commencent à regagner en popularité — précisément au moment où Musk a recommencé à interagir avec ses publications.
Loomer a également perdu temporairement l’accès à X Premium, ce qui aurait pu expliquer la baisse de popularité de ses publications. Mais l’analyse du Times n’a révélé aucune relation claire entre la popularité de ses posts et son retrait puis sa réintégration au programme. Elle estime avoir perdu environ 50 000 dollars de revenus pendant cette période.
Je pense qu’il est incorrect de prétendre être une plateforme de libre expression puis de couper la capacité des gens à monétiser leur contenu.
— Laura Loomer
Un schéma qui se répète
Le troisième utilisateur identifié par le Times est Owen Shroyer, un activiste d’extrême droite et animateur d’une émission sur Infowars, la plateforme de streaming connue pour ses théoriciens du complot. Il s’est joint à la controverse sur les visas le 26 décembre, se moquant des emplois accordés aux détenteurs de visas. Sa portée a diminué depuis lors, et comme Loomer, il a brièvement perdu l’accès à X Premium.
Shroyer a remarqué que ses abonnés voyaient ses publications s’ils étaient en ligne au moment où il les postait, mais s’ils se connectaient plus tard, elles n’apparaissaient jamais dans leur fil d’actualité.
Ma théorie est que quelqu’un manipule la portée en fonction de préjugés personnels, politiques ou thématiques.
— Owen Shroyer
Il s’est toutefois gardé d’accuser directement Musk, suggérant plutôt que « certains des pouvoirs qu’il a délégués pourraient être utilisés abusivement ».
Shadowbanning : pratique controversée qui refait surface
Cette tactique, connue sous le nom de « shadowbanning » ou « ghost banning », consiste à réduire silencieusement la visibilité d’un compte sans en informer l’utilisateur. Avant l’acquisition de la plateforme par Musk en 2022, lorsqu’elle s’appelait encore Twitter, de nombreux utilisateurs de droite avaient critiqué l’entreprise pour cette pratique.
Musk a écrit en novembre dernier qu’il n’y a plus de shadowbanning. Parallèlement, il a affirmé qu’il croyait en « la liberté d’expression, pas la liberté de portée », signifiant que la plateforme n’interdirait pas les personnes pour des contenus haineux mais rendrait ces contenus plus difficiles à trouver.
Il y aura toujours des critiques. Ce qui est peut-être remarquable, c’est que je n’essaie pas de les faire taire, même sur une plateforme que je possède.
— Elon Musk
Des inquiétudes grandissantes face à l’influence politique de Musk
Les préoccupations concernant l’influence de Musk se sont accrues parallèlement à ses ambitions politiques en tant qu’allié proche du président Trump. Il a également déclaré vouloir soutenir la politique d’extrême droite à travers le monde.
« Cela va à l’encontre du type d’environnement qu’il prétendait vouloir construire », a déclaré Ari Cohn, conseiller juridique principal pour la politique technologique à la Fondation pour les droits individuels et l’expression, un groupe de défense de la liberté d’expression. « Ne vous présentez pas comme un défenseur du Premier Amendement et de la liberté d’expression, puis faites des choses comme ça. »
Une transparence limitée et des outils de surveillance réduits
X offre peu d’outils pour surveiller le réseau social, et Musk a désactivé certaines fonctionnalités qui permettaient aux chercheurs de suivre les changements sur la plateforme. Pour identifier ces trois comptes, le Times a utilisé un service collectant des données de X pour analyser les vues quotidiennes de dizaines d’utilisateurs impliqués dans divers différends avec Musk.
De nombreuses autres personnes ayant critiqué Musk ont affirmé avoir été discrètement supprimées sur la plateforme. Bien que le Times n’ait pas identifié d’autres comptes artificiellement supprimés, de tels changements seraient difficiles à repérer si les utilisateurs ne publiaient pas fréquemment ou n’avaient pas beaucoup de publications populaires.
S’il le faisait à de petits comptes, personne ne le remarquerait. Mais quand il commence à le faire à de très, très grands influenceurs avec des millions d’abonnés, tout le monde le remarque.
— Anastasia Maria Loupis
Ce n’est pas la première fois que Musk est accusé d’abuser de son contrôle sur X. Un groupe de journalistes de renom avait été soudainement suspendu en 2022. Musk avait alors suggéré qu’ils avaient enfreint les règles de confidentialité du site en publiant des informations personnelles, sans plus de précisions. Leurs comptes avaient ensuite été rétablis sans explication.
Alors que le débat sur la liberté d’expression dans les médias sociaux continue de faire rage, cette affaire soulève des questions fondamentales sur le pouvoir des propriétaires de plateformes et la cohérence entre leurs discours publics et leurs actions concrètes.