Coup de tonnerre dans le monde de la tech : la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de trancher en faveur d’Enel dans son bras de fer avec Google concernant l’accès à Android Auto. Le géant américain est accusé d’abus de position dominante pour avoir refusé d’intégrer l’application de recharge pour véhicules électriques JuicePass d’Enel à son système embarqué. Cette décision, qui fera jurisprudence, oblige Google à revoir sa stratégie d’ouverture de sa plateforme et pourrait avoir des répercussions majeures sur l’ensemble de l’écosystème numérique.
Retour sur une affaire qui a démarré en 2018. Enel X, la branche mobilité électrique du groupe italien, souhaitait intégrer son application JuicePass à Android Auto, permettant ainsi aux conducteurs de voitures électriques de localiser facilement les bornes de recharge et de gérer leurs sessions de charge directement depuis l’écran de leur véhicule. Google refuse, arguant de problèmes de sécurité et de l’absence d’un modèle logiciel adapté à ce type d’applications.
Une justification qui n’a pas convaincu l’Autorité italienne de la concurrence (AGCM). En 2021, elle inflige une amende salée de 102 millions d’euros à Google pour abus de position dominante, en violation de l’article 102 du TFUE. Google conteste la décision et la justice italienne renvoie l’affaire à la CJUE pour un avis préjudiciel.
Et le verdict est tombé : la CJUE confirme l’analyse de l’AGCM. Trois points clés sont mis en avant par la Cour :
- Android Auto, une plateforme ouverte… en principe. La CJUE souligne que la nature même d’Android Auto est d’accueillir des applications tierces. Ce n’est pas un produit conçu pour l’usage exclusif de Google. L’argument de l’absence de modèle logiciel adapté ne tient donc pas. Google a l’obligation de créer les conditions nécessaires à l’interopérabilité et aurait dû, dans un délai raisonnable, développer un modèle approprié.
- Refus d’interopérabilité = abus de position dominante. La Cour estime que le refus d’Enel, motivé par des contraintes techniques, est injustifié. Ce refus limite la concurrence sur le marché des services de recharge pour véhicules électriques, au détriment des consommateurs, même si la concurrence n’est pas totalement éliminée.
- Impact sur les marchés adjacents. La décision de la CJUE met en lumière les conséquences du refus de Google sur l’écosystème de la mobilité électrique. En limitant l’accès à Android Auto, Google favorise implicitement ses propres services, comme Google Maps, au détriment d’autres acteurs.
Certes, la CJUE reconnaît que Google pourrait légitimement refuser l’accès à Android Auto si la sécurité ou l’intégrité du système étaient compromises. Mais dans ce cas précis, les arguments avancés par la firme de Mountain View n’ont pas été jugés suffisants.
Bien que Google ait finalement développé un modèle adapté pour JuicePass, l’entreprise maintient que l’innovation doit être guidée par la demande des utilisateurs, et non par les requêtes individuelles des entreprises. Cette position interroge le rôle des plateformes dominantes dans l’accès aux marchés numériques et illustre la tension permanente entre innovation et régulation.
Du côté d’Enel, c’est évidemment la satisfaction. Cette décision est perçue comme une victoire pour la concurrence et la diversité des services offerts aux automobilistes. Elle renforce également le rôle des régulateurs nationaux face aux géants du numérique.
Cette affaire s’inscrit dans un contexte de renforcement de la législation européenne visant à encadrer les pratiques anticoncurrentielles des plateformes numériques. Le Digital Markets Act (DMA), récemment entré en vigueur, impose des obligations d’interopérabilité et de transparence aux acteurs dominants. La décision de la CJUE, bien qu’antérieure au DMA, confirme la pertinence du droit de la concurrence et démontre qu’il peut être appliqué efficacement, même face à des réglementations sectorielles plus spécifiques.
Le parallèle avec l’arrêt Bronner de 1998 est évident. Dans cet arrêt fondateur, la CJUE avait établi les conditions pour caractériser un abus de position dominante en cas de refus d’accès à une infrastructure essentielle. En considérant Android Auto comme un actif indispensable pour les applications liées à la conduite, la Cour renforce l’obligation de Google de garantir un accès équitable et non discriminatoire à sa plateforme.
L’affaire Enel contre Google fera date. Elle pourrait inspirer d’autres actions en justice contre des géants comme Apple ou Meta, dont les pratiques d’interdépendance entre services pourraient être examinées à l’aune de ce nouveau précédent. Pour Google, c’est un nouvel épisode dans sa longue série de confrontations avec les régulateurs européens, après les affaires Google Shopping et Android. Pour l’UE, c’est une victoire symbolique qui démontre sa volonté de réguler le secteur du numérique et de garantir une concurrence loyale. Reste à voir comment Google adaptera sa stratégie à long terme et quel sera l’impact de cette décision sur l’évolution des plateformes numériques.