En pleine bataille juridique avec OpenAI, Elon Musk contre-attaque en lançant l’API de Grok 3, rendant son modèle phare accessible aux développeurs. Un timing qui n’a rien d’innocent.
Une API très attendue mais un timing surprenant
Alors qu’OpenAI vient tout juste de contre-attaquer Elon Musk en justice, le milliardaire n’a pas perdu de temps pour faire parler de lui autrement. Sa société d’intelligence artificielle, xAI, vient d’annoncer la disponibilité de son modèle Grok 3 via une API officielle. Plusieurs mois après le lancement en grande pompe de ce modèle présenté comme le rival direct de GPT-4 d’OpenAI et de Gemini de Google, xAI passe à la vitesse supérieure.
Pour rappel, Grok 3 avait été dévoilé en février dernier et se distingue par sa capacité à analyser des images et à répondre à des questions complexes. Le modèle alimente déjà plusieurs fonctionnalités sur X (ex-Twitter), le réseau social qui a d’ailleurs acquis xAI en mars dernier dans une opération qui a soulevé de nombreuses questions sur la stratégie de Musk.
Deux versions et une grille tarifaire qui ne fait pas dans la dentelle
Modèle | Prix entrée (par million de tokens) | Prix sortie (par million de tokens) |
---|---|---|
Grok 3 | 3$ (~750 000 mots) | 15$ |
Grok 3 Mini | 0,30$ | 0,50$ |
Grok 3 Rapide | 5$ | 25$ |
Grok 3 Mini Rapide | 0,60$ | 4$ |
Des performances controversées et une fenêtre de contexte réduite
D’ailleurs, en parlant de benchmarks, xAI a été accusé de manipulation concernant les résultats annoncés pour Grok 3. Plusieurs experts ont remis en question les méthodes d’évaluation utilisées par l’entreprise, estimant que les performances réelles du modèle étaient inférieures à celles revendiquées.
Autre point qui fait grincer des dents : la fenêtre de contexte disponible via l’API. Comme l’ont souligné plusieurs utilisateurs sur X, l’API est limitée à 131 072 tokens (environ 97 500 mots), loin du million de tokens que xAI prétendait supporter fin février. Cette restriction pourrait décevoir les développeurs qui espéraient exploiter pleinement les capacités annoncées du modèle.
« La fenêtre de contexte est cruciale pour les applications modernes d’IA. Cette limitation à 131K tokens au lieu du million promis, c’est comme vendre une Ferrari bridée à 100 km/h, » commente Nicolas Dobosc, chercheur en IA à l’INRIA.
Un modèle qui se veut « désinhibé », mais qui reste sous contrôle
Quand Musk a lancé Grok il y a environ deux ans, il l’avait présenté comme un modèle sans filtre, anti-« woke » et prêt à répondre à des questions controversées que d’autres systèmes d’IA refuseraient d’aborder. Et il a tenu certaines de ses promesses : les premières versions de Grok n’hésitaient pas à utiliser un langage coloré lorsqu’on le lui demandait, tranchant avec l’approche plus policée de ChatGPT.
Cependant, les versions antérieures à Grok 3 restaient prudentes sur les sujets politiques et refusaient de franchir certaines limites. Une étude publiée dans Wired a même révélé que Grok penchait plutôt à gauche sur des sujets comme les droits des personnes transgenres, les programmes de diversité et les inégalités.
Musk a attribué ce comportement aux données d’entraînement de Grok – essentiellement des pages web publiques – et s’est engagé à « rapprocher Grok de la neutralité politique ». Reste à voir si xAI a réussi à atteindre cet objectif avec cette nouvelle version et quelles pourraient être les conséquences à long terme de ces ajustements.
Une infrastructure massive pour une ambition démesurée
Pour faire tourner Grok 3, xAI a investi massivement dans une infrastructure de calcul impressionnante. La société a construit son propre supercalculateur baptisé « Colossus », composé de milliers de GPU NVIDIA H100 et A100. Cette puissance de calcul colossale a été nécessaire pour entraîner un modèle capable de rivaliser avec les leaders du marché.
Selon des sources proches du dossier, l’entraînement de Grok 3 aurait coûté plus de 100 millions de dollars, un investissement qui explique en partie les tarifs élevés pratiqués pour l’API.
Une intégration stratégique avec X
L’acquisition de xAI par X (anciennement Twitter) en mars dernier prend tout son sens avec cette nouvelle étape. En intégrant directement Grok 3 à son réseau social, Musk crée un écosystème complet où l’IA devient un service central plutôt qu’une simple fonctionnalité.
Les utilisateurs de X peuvent déjà accéder à Grok 3 via un abonnement Premium+, mais l’ouverture de l’API permet désormais aux développeurs de créer leurs propres applications basées sur ce modèle. Une stratégie qui rappelle celle d’OpenAI avec ChatGPT, à la différence que Musk contrôle à la fois la plateforme et le modèle d’IA.
« C’est une approche verticale de l’IA sociale qu’aucun autre acteur n’a encore réussi à mettre en place à cette échelle, » analyse Thomas Villemin, consultant en stratégie digitale. « Musk crée un monopole technologique qui pourrait s’avérer redoutable face à des concurrents comme Meta ou Google. »
La prochaine bataille de l’IA se jouera aussi en justice
Cette annonce intervient au moment même où la bataille juridique entre Musk et OpenAI s’intensifie. Après la plainte initiale de Musk accusant OpenAI d’avoir trahi sa mission originelle à but non lucratif, l’entreprise a riposté en demandant à la justice de limiter les actions « illégales et déloyales » du milliardaire.
Cette guerre sur deux fronts – technologique et juridique – illustre parfaitement les enjeux considérables du marché de l’IA générative, estimé à plus de 100 milliards de dollars d’ici 2030.
Pour les développeurs et les entreprises, l’arrivée de Grok 3 via API offre une alternative crédible aux solutions existantes, même si son positionnement tarifaire élevé pourrait limiter son adoption massive à court terme.