Le dernier rapport d’Access Now et de la coalition #KeepItOn dresse un constat alarmant : 2024 marque un triste record en matière de coupures d’internet. Avec 296 incidents recensés dans 54 pays, la censure numérique s’intensifie, muselant les populations et entravant l’accès à l’information. Le Myanmar prend la tête du sinistre classement, reléguant l’Inde à la seconde place pour la première fois depuis 2018.
#KeepItOn : un rempart contre la censure numérique
Depuis 2016, la coalition #KeepItOn, menée par Access Now, se mobilise contre ces atteintes à la liberté d’expression. Regroupant plus de 334 ONG, médias et centres de recherche, elle documente les interruptions via le projet « Shutdown Tracker Optimization Project », en collaboration avec des acteurs locaux. Leur action de sensibilisation et de plaidoyer vise à faire pression sur les gouvernements et défendre le droit fondamental à un internet libre et accessible.
L’année 2024 a été marquée par une vigilance accrue lors des périodes électorales. La coalition a identifié 23 pays à risque, où la menace de coupures planait sur les scrutins. L’Iran, la Russie et l’Inde figurent parmi les pays où les autorités ont invoqué des motifs de « sécurité » pour justifier ces restrictions, souvent lors de manifestations ou d’élections.
Un phénomène mondial en pleine expansion
La géographie des coupures d’internet en 2024 révèle une concentration en Asie du Sud, notamment en Inde et au Myanmar, ainsi qu’en Afrique, avec le Nigéria et la Tanzanie en tête. Cette pratique s’étend dangereusement, touchant désormais 54 pays. La hausse de 5% par rapport à 2023 (283 incidents) témoigne d’une normalisation inquiétante de ces restrictions.
Le cas du Myanmar est particulièrement préoccupant. Avec 37 coupures recensées, le pays est en proie à une vague de répression sans précédent depuis le coup d’État de 2021. L’armée birmane utilise les coupures d’internet comme une arme pour museler la population et contrôler l’information.
Des motifs fallacieux au service de la répression
Derrière le prétexte de la « sécurité nationale », les motivations réelles de ces coupures sont souvent bien différentes. Il s’agit pour les gouvernements de contrôler les flux d’information, d’empêcher la coordination des mouvements sociaux et d’étouffer toute forme de dissidence.
- Contrôle des élections : Le Pakistan, malgré des engagements de transparence, a imposé une coupure le jour du scrutin. A contrario, le Bangladesh a réussi à maintenir l’accès, démontrant qu’une volonté politique forte peut faire la différence.
- Répression des manifestations : En Biélorussie, la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko en 2020 a été suivie d’une coupure totale d’internet, empêchant la population de s’organiser et de communiquer.
- Censure des réseaux sociaux : Le Togo et la Mauritanie ont bloqué l’accès à des plateformes comme X (anciennement Twitter) pour limiter la diffusion d’opinions critiques et contrôler les débats publics.
Des conséquences économiques et sociales dévastatrices
Au-delà de l’atteinte aux libertés fondamentales, les coupures d’internet engendrent des pertes économiques considérables. La Banque Mondiale estime qu’une journée d’interruption coûte à l’économie indienne 2,6 millions de dollars. Ces coupures perturbent l’activité des entreprises, limitent l’accès aux services essentiels et entravent le développement économique. Elles alimentent également la désinformation en empêchant l’accès à des sources fiables et diversifiées. En Tanzanie, l’interdiction des VPN (Réseaux Privés Virtuels) rend encore plus difficile le contournement de ces blocages, isolant davantage la population.
La résistance s’organise
Face à ces dérives, la coalition #KeepItOn poursuit son travail de sensibilisation et de mobilisation. Des succès sont à noter, comme en Mauritanie où une tentative de coupure avant les élections de novembre 2024 a été annulée suite aux protestations. En Inde, la Cour de Delhi a qualifié ces pratiques d’ »illégales », ouvrant la voie à des recours juridiques.
La coalition mise sur plusieurs stratégies : l’alerte précoce lors d’événements sensibles, le plaidoyer auprès des gouvernements et des opérateurs, et le renforcement des capacités des citoyens et des médias pour identifier et contester ces coupures. La lutte pour un internet libre et accessible est loin d’être gagnée, mais la mobilisation citoyenne et la pression internationale offrent une lueur d’espoir face à la montée de la censure numérique. Les élections à venir en 2025, notamment en Éthiopie et au Nigéria, seront des moments clés pour observer l’évolution de cette situation préoccupante. Une réponse internationale unifiée et une collaboration étroite avec les fournisseurs d’accès internet sont essentielles pour garantir le respect des droits numériques et la protection d’un internet libre et ouvert pour tous. Comme le rappelle la coalition #KeepItOn : « Les coupures d’internet ne protègent personne – elles menacent tout le monde. »