L’ombre de Donald Trump plane à nouveau sur l’industrie américaine des semi-conducteurs. L’ancien président, ouvertement hostile au CHIPS Act, une loi bipartite votée en 2022 sous l’administration Biden, menace de l’abroger s’il revient au pouvoir. Ce programme, doté de 39 milliards de dollars de subventions et de 75 milliards de dollars de prêts garantis, vise à stimuler la production nationale de puces électroniques. Pour Trump, il s’agit d’une dépense inutile, et il prône une approche protectionniste basée sur des tarifs douaniers. Pourtant, experts et acteurs de l’industrie tirent la sonnette d’alarme : l’abrogation du CHIPS Act pourrait gravement compromettre la sécurité nationale américaine et son leadership technologique.
Un secteur stratégique pris en otage
Les semi-conducteurs sont omniprésents : smartphones, ordinateurs, voitures, équipements militaires… Ils constituent le cœur battant de l’économie numérique et jouent un rôle crucial pour la sécurité nationale. Or, les États-Unis sont largement dépendants de l’Asie, notamment de Taïwan, où se trouve TSMC, le leader mondial de la fonderie de puces. Cette dépendance est perçue comme une vulnérabilité majeure, notamment face aux tensions géopolitiques croissantes avec la Chine.
Le CHIPS Act a justement été conçu pour réduire cette dépendance en encourageant la construction d’usines sur le sol américain. Des projets d’envergure ont déjà été lancés grâce à ces subventions, comme la méga-usine de Micron dans l’État de New York (un investissement de 100 milliards de dollars) ou les usines de TSMC en Arizona, destinées à produire des puces de pointe pour l’armée américaine. L’abrogation du programme mettrait en péril ces investissements et freinerait le développement d’une filière nationale stratégique.
« Sans mécanismes incitatifs solides, les États-Unis risquent de perdre leur avantage technologique face à la Chine et à l’Europe, où les subventions sont plus généreuses »
Les limites d’une politique protectionniste
Donald Trump prône l’instauration de tarifs douaniers sur les semi-conducteurs importés pour encourager la production locale. Selon lui, cette mesure suffirait à relancer l’industrie américaine. Une vision contestée par les experts et les industriels. Les tarifs douaniers augmentent le coût des produits finaux et ne compensent pas les coûts de production plus élevés aux États-Unis, liés notamment à des réglementations environnementales plus strictes et à des salaires plus importants.
Prenons l’exemple de TSMC en Arizona : l’investissement colossal de 65 milliards de dollars a été rendu possible grâce aux 6,6 milliards de dollars de subventions directes du CHIPS Act. Trump affirme que ce projet aurait vu le jour sans aide publique. Une affirmation difficilement crédible face à la réalité des coûts et à l’attractivité des aides publiques offertes par d’autres pays, comme les membres de l’Union Européenne ou les pays d’Asie du Sud-Est.
Conséquences en cascade : emplois, R&D et litiges
L’abrogation du CHIPS Act aurait des conséquences désastreuses sur l’emploi, la recherche et développement, et pourrait même engendrer des litiges. Les projets financés par le programme ont permis la création de milliers d’emplois hautement qualifiés et ont stimulé la collaboration entre les universités et les entreprises. L’arrêt brutal de ces financements pourrait mettre un frein à cette dynamique. De plus, des accords juridiquement contraignants ont été signés dans le cadre du CHIPS Act. Une abrogation pourrait déclencher des batailles juridiques complexes et coûteuses. Le Wisconsin, par exemple, a reçu 49 millions de dollars pour développer un pôle biohealth, avec à la clé la création de 30 000 emplois. La sénatrice Tammy Baldwin a d’ailleurs souligné l’importance stratégique de ce projet :
C’est une question de sécurité nationale globale : la santé publique et l’économie en dépendent
Une opposition politique et industrielle grandissante
Malgré la pression exercée par Trump, l’abrogation du CHIPS Act est loin d’être acquise. Des sénateurs républicains, comme Thom Tillis, ont exprimé leurs doutes quant à la faisabilité politique d’une telle mesure. L’industrie des semi-conducteurs, quant à elle, se mobilise activement pour défendre le programme. Des géants comme Intel, GlobalFoundries et Samsung ont renforcé leurs équipes juridiques pour anticiper un éventuel retrait des financements. Les retards observés sur certains projets, comme celui d’Intel dans l’Ohio, témoignent de l’incertitude qui règne dans le secteur.
Pendant ce temps, la Chine continue d’investir massivement dans son industrie des semi-conducteurs, avec un fonds de 140 milliards de dollars annoncé récemment. L’abrogation du CHIPS Act pourrait accélérer la domination chinoise sur ce secteur stratégique, affaiblissant encore davantage la position des États-Unis dans la compétition technologique mondiale.
Enfin, les récents licenciements au sein du département du Commerce, en charge de la gestion du CHIPS Act, ajoutent à l’incertitude. Quarante postes liés au programme ont été supprimés, soulevant des interrogations sur l’avenir du budget non alloué.