Alors qu’on la disait ringardisée par les smartphones XXL et les PC ultrafins, la tablette signe un retour surprenant. Le marché mondial a enregistré une sacrée poussée au premier trimestre 2025, avec une croissance de 8,5 % en glissement annuel. Au total, ce sont pas moins de 36,8 millions de tablettes qui ont quitté les usines pour arriver chez nous ou dans les salles de classe, selon les dernières données du cabinet Canalys.
Ce n’est pas juste une petite embellie, c’est un véritable regain d’énergie pour un secteur qui a navigué en eaux troubles ces dernières années, notamment après le pic artificiel de la pandémie et une année 2023 morose. Ce dynamisme retrouvé s’explique avant tout par le bon vieux cycle de renouvellement des équipements, à la fois chez les consommateurs et dans le secteur de l’éducation.
Coup de boost sur le marché : pourquoi ça repart ?
Exit la déprime post-confinement ! Le marché de la tablette profite d’une conjoncture favorable sur plusieurs fronts qui réactive la demande :
- Nos vieilles ardoises rendent l’âme : Côté grand public, le message est clair. Beaucoup d’utilisateurs qui avaient acheté une tablette pendant les confinements (entre 2020 et 2022) arrivent au bout du cycle de vie de leur appareil. Écran un peu lent, batterie fatiguée, mises à jour plus assurées… c’est le moment idéal pour craquer pour un modèle plus récent, plus véloce et souvent mieux intégré à notre vie numérique entre travail hybride, streaming vidéo en 4K et applications toujours plus gourmandes. Les tablettes sont devenues pour beaucoup un compagnon multitâche indispensable.
- L’école au tableau numérique : Le secteur de l’éducation continue de tirer le marché vers le haut. Si les gros programmes de distribution post-pandémie sont passés, de nouvelles initiatives émergent, surtout dans les pays où la transition numérique s’accélère. Gouvernements et institutions investissent pour équiper écoles et universités, car la tablette reste un outil formidable pour l’apprentissage interactif, l’accès aux ressources numériques et la gestion des contenus pédagogiques. C’est un marché de volumes non négligeables.
- Des usages pro qui s’affinent : Moins spectaculaire que le grand public ou l’éducation, mais non négligeable : les entreprises découvrent ou affinent les cas d’usage pour la tablette. Dans la santé, pour la consultation des dossiers patients ; dans le commerce, pour la gestion des stocks ou l’aide à la vente en magasin ; dans la logistique, pour le suivi des livraisons… Le format portable, l’écran tactile et l’autonomie font mouche pour des applications très spécifiques.
C’est donc un cocktail de ces facteurs qui explique ce solide +8,5 % du début d’année. Un signal positif après une période de creux.
Apple creuse l’écart, Samsung résiste, la bataille des dauphins fait rage
Si la marée remonte pour le marché global, certains profitent de la vague bien mieux que d’autres. Et sans surprise, c’est Apple qui caracole en tête et même conforte sa position dominante.
Selon les chiffres précis de Canalys pour ce premier trimestre 2025, Apple s’octroie une part de marché colossale de 37 %. Et attention, sa performance est particulièrement notable : la firme de Cupertino a vu ses propres expéditions de tablettes (des iPad de toutes sortes) bondir de 14 % par rapport au même trimestre l’an passé ! Cette croissance largement supérieure à celle du marché global explique pourquoi Apple gagne encore du terrain.
Derrière, Samsung maintient solidement sa deuxième place avec 18 % du marché. Le géant coréen propose une gamme très large de tablettes Galaxy Tab, des modèles premium qui rivalisent avec les iPad Pro jusqu’aux options plus abordables. Sa stratégie de diversification lui permet de rester un acteur majeur, mais l’écart avec Apple se creuse encore un peu plus ce trimestre.
Le reste du classement est plus fragmenté, avec des acteurs qui tirent leur épingle du jeu sur des segments spécifiques ou des marchés régionaux :
- Huawei reste un acteur fort, surtout sur son marché domestique chinois et en Asie-Pacifique. Malgré les pressions géopolitiques qui ont pu freiner son expansion ailleurs, la marque arrive à maintenir une dynamique intéressante.
- Lenovo et Amazon sont particulièrement agressifs sur les segments plus accessibles, souvent équipés d’Android pour Lenovo ou de Fire OS (une version d’Android customisée par Amazon) pour ses Kindle Fire. Ils capitalisent sur les besoins basiques ou le marché éducatif à moindre coût.
Il est crucial de noter que cette structure de marché, très polarisée autour d’Apple et Samsung, semble se renforcer à la faveur de cette reprise. Les leaders profitent à plein du cycle de renouvellement, probablement parce que leurs appareils plus anciens sont aussi ceux qui demandent le plus urgemment un remplacement.
Analyse détaillée : qui achète quoi, et pourquoi ?
- Le consommateur avisé : Le cycle de remplacement moyen pour une tablette grand public se situe désormais entre 3 et 4 ans. C’est moins long que pour un PC, mais plus que pour un smartphone. Les utilisateurs cherchent un juste équilibre entre prix et fonctionnalités. Les nouveaux modèles intégrant le Wi-Fi 6/6E, la 5G, des écrans améliorés pour le streaming et potentiellement des fonctionnalités dopées à l’IA (pour la photo, l’écriture, la retouche) sont particulièrement attractifs. Le renouveau de gammes comme les iPad Air/Pro avec les puces M d’Apple, ou les dernières Galaxy Tab S de Samsung avec leur mode DeX (qui simule une expérience PC), répondent précisément à ces attentes.
- L’éducation à plusieurs vitesses : Dans les pays matures, les programmes éducatifs peuvent opter pour des solutions plus premium, y compris des iPad. Mais c’est dans les marchés émergents, notamment en Afrique et en Asie du Sud-Est, que la tablette éducative décolle véritablement. Et sur ces marchés, ce sont souvent les modèles Android d’entrée ou de milieu de gamme (Lenovo, Samsung Galaxy Tab A/Lite, voire des marques locales) qui remportent les appels d’offres. L’aspect abordable et la flexibilité de l’OS Android sont des atouts clés. L’équipement numérique devient un enjeu de développement national.
- Les différences géographiques se confirment : L’Asie-Pacifique (avec l’immense marché chinois et la croissance de l’Inde) est sans conteste le moteur du marché. C’est là que les taux de croissance sont les plus élevés, portés par l’urbanisation, l’essor de la classe moyenne et les investissements éducatifs. L’Amérique du Nord, après avoir été le premier marché d’adoption, montre des signes de saturation relative et une croissance plus modérée. L’Europe est dans une situation intermédiaire. Ces disparités géographiques pèsent lourd dans la stratégie des fabricants.
Les défis persistent, mais l’optimisme est là
Malgré ce beau rebond, le marché des tablettes n’est pas sans nuages. Plusieurs obstacles pourraient tempérer l’enthousiasme dans les mois à venir :
- Les pressions tarifaires et géopolitiques : Même si les tablettes sont parfois moins concernées que les PC par certaines annonces de droits de douane (comme celles récentes des États-Unis), elles partagent souvent les mêmes chaînes d’approvisionnement complexes. Des tensions commerciales ou une augmentation des coûts de production en Asie peuvent rapidement se répercuter sur les prix de vente.
- L’inflation des coûts des composants : Puces électroniques, écrans, batteries… le coût des éléments clés reste sous pression. Pour maintenir des prix attractifs, surtout sur les segments abordables et intermédiaires, les fabricants doivent constamment optimiser ou absorber une partie des coûts, ce qui peut rogner sur leurs marges.
- La concurrence jamais endormie : Les smartphones grand format (« phablettes ») continuent d’empiéter sur les usages multimédias basiques qui étaient l’apanage des tablettes. Et les PC portables 2-en-1 (avec écran tactile et clavier détachable) brouillent les pistes avec les tablettes haut de gamme, attirant une partie de la clientèle professionnelle ou étudiante qui cherche un outil principal.
Cependant, les analystes de Canalys ne sont pas pessimistes. Au contraire, ils rapportent que 52 % des partenaires canaux (revendeurs, distributeurs) anticipent une augmentation de leurs expéditions de tablettes en 2025, tandis que seuls 16 % prévoient une baisse. Ce sentiment positif s’explique par la conviction que de nouveaux cas d’usage spécifiques vont continuer d’émerger (la signature électronique mobile, des applications professionnelles verticalisées, l’intégration de la réalité augmentée) et que les fabricants trouveront le bon équilibre prix/fonctionnalités pour séduire.
La bataille se jouera aussi sur l’ergonomie (l’intégration du stylet, la qualité des claviers optionnels) et peut-être de nouveaux modèles économiques, comme les abonnements logiciels dédiés ou des offres groupées avec des services cloud intégrés.
En résumé, la tablette prouve qu’elle n’était pas morte, juste en mode pause. Ce début d’année 2025 lui redonne un vrai coup de fouet, propulsée par la nécessité de remplacer nos vieux appareils et l’équipement numérique de l’éducation. Apple et Samsung en sont les grands bénéficiaires immédiats. Reste à voir si cet élan sera durable face aux vents contraires économiques et à l’implacable concurrence des autres écrans de notre quotidien. Le marché est relancé, c’est déjà ça !