L’industrie technologique mondiale tremble face à l’offensive chinoise dans le secteur des semiconducteurs matures. La montée en puissance rapide de la Chine dans la fabrication de puces plus anciennes provoque une chute des prix sans précédent, menaçant les acteurs établis du marché et redessinant le paysage concurrentiel mondial.
Un tsunami de capacités chinoises qui bouleverse les prix
Marco, directeur commercial asiatique d’un fabricant allemand d’équipements pour semi-conducteurs, en a été le témoin direct. Lors d’une récente visite chez des fournisseurs chinois, il est resté bouche bée devant les tarifs pratiqués pour les wafers en carbure de silicium (SiC).
« C’est tout simplement dingue », confie-t-il sous couvert d’anonymat. « Les prix proposés par certains fournisseurs chinois sont 40% inférieurs à ceux pratiqués il y a seulement 18 mois. On parle de composants essentiels à l’électronique de puissance, notamment pour les véhicules électriques et les énergies renouvelables. »
Ce phénomène, que les experts qualifient désormais de « choc chinois », ne se limite pas aux wafers en SiC. Il touche l’ensemble des semi-conducteurs matures, ces puces fabriquées selon des procédés éprouvés avec des finesses de gravure de 28 nanomètres et plus, qui constituent encore 80% du marché mondial.
Une stratégie d’autonomie qui porte ses fruits
Cette offensive n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une politique industrielle déterminée. Depuis le lancement en 2014 du plan « Made in China 2025 », Pékin a fait des semi-conducteurs une priorité nationale. L’embargo américain sur les équipements de pointe n’a fait qu’accélérer les investissements dans les technologies plus matures, non concernées par les restrictions.
En 2024, la Chine a construit plus de nouvelles usines de semi-conducteurs (appelées « fabs ») que toutes les autres régions du monde réunies. Cette tendance se confirme en 2025 avec pas moins de 18 nouvelles usines en construction sur le sol chinois.
Vincent Chaigneau, analyste chez Natixis, explique que « ce déploiement massif de capacités sur le territoire chinois crée mécaniquement un déséquilibre entre l’offre et la demande, entrainant cette chute des prix ». Ce phénomène rappelle l’irruption de la Chine dans la fabrication de panneaux photovoltaïques il y a une quinzaine d’années, qui avait conduit à une division par dix des prix et à la quasi-disparition des fabricants occidentaux.
Des implications mondiales à plusieurs niveaux
- Pression sur les fabricants établis : Des acteurs comme STMicroelectronics, Infineon ou Texas Instruments voient leurs marges se réduire sur les segments matures, les forçant à accélérer leur montée en gamme vers les procédés les plus avancés.
- Recomposition des chaînes d’approvisionnement : Les équipementiers automobiles, les fabricants d’électroménager et d’appareils IoT se tournent de plus en plus vers des fournisseurs chinois pour leurs besoins en puces.
- Tensions géopolitiques accrues : Face à cette montée en puissance, les États-Unis envisagent d’étendre leurs restrictions aux technologies plus matures, tandis que l’Europe s’inquiète pour son plan de souveraineté dans les semi-conducteurs.
- Opportunités pour certains secteurs : La baisse des prix profite aux intégrateurs et aux fabricants d’électronique grand public, qui voient leurs coûts de production diminuer.
Le carbure de silicium, symbole d’une révolution en cours
Le cas des wafers en carbure de silicium (SiC) est emblématique de cette transformation. Ce matériau, qui permet de fabriquer des puces plus efficaces énergétiquement que le silicium traditionnel, est devenu crucial pour les technologies vertes.
Jusqu’à récemment, le marché était dominé par quelques acteurs occidentaux et japonais comme Wolfspeed, STMicroelectronics ou Rohm Semiconductor. Mais en l’espace de trois ans, plus d’une vingtaine de fabricants chinois se sont lancés dans ce segment, avec le soutien massif de fonds publics.
« Les prix des wafers SiC 6 pouces sont passés de 1 500 dollars en 2022 à moins de 800 dollars aujourd’hui », précise Laurent Nguyen, expert en semi-conducteurs chez HSBC. « La qualité chinoise n’est pas encore au niveau des leaders occidentaux, mais elle progresse rapidement et suffit pour de nombreuses applications. »
Une réponse occidentale qui se cherche encore
Face à cette offensive, les réactions occidentales semblent encore désordonnées. D’un côté, les États-Unis continuent de miser sur une stratégie de containment, en renforçant progressivement leurs restrictions à l’exportation. De l’autre, l’Europe tente de développer sa propre industrie des semi-conducteurs via son « Chips Act », mais avec des moyens bien inférieurs à ceux déployés par Pékin.
Certains experts, comme Pierre Desrochers de l’Université Paris-Saclay, plaident pour une approche plus nuancée :
« Plutôt que d’essayer de rivaliser frontalement avec la Chine sur tous les segments, l’Europe et les États-Unis devraient se concentrer sur les technologies les plus avancées et à plus forte valeur ajoutée, tout en acceptant une certaine interdépendance sur les segments plus matures. »
Car l’enjeu dépasse largement le seul secteur des semi-conducteurs. C’est tout l’équilibre de l’économie mondiale qui est en train de se recomposer, avec des implications profondes pour l’ensemble des industries utilisant des composants électroniques – c’est-à-dire pratiquement toutes.
Les entreprises occidentales n’ont donc pas d’autre choix que de s’adapter à ce nouveau paradigme, en repensant leurs stratégies d’approvisionnement et en accélérant leur montée en gamme. Une chose est sûre : le « choc chinois » dans les semi-conducteurs ne fait que commencer.
Pour en savoir plus sur l’impact de cette transformation dans le secteur technologique asiatique, vous pouvez consulter l’analyse complète sur Tech Asia.