Le fonds d’innovation de l’OTAN co-dirige un tour de table ambitieux pour révolutionner la transmission de données grâce à une technologie de rupture « made in Europe ».
Une levée stratégique pour l’avenir de la photonique européenne
CamGraPhIC, startup basée à Cambridge au Royaume-Uni et spécialisée dans la photonique de pointe, vient de boucler un tour de financement Series A de 25 millions d’euros. Cette opération d’envergure a été co-dirigée par le NATO Innovation Fund (NIF), le fonds d’innovation doté d’1 milliard d’euros soutenu par 24 alliés de l’OTAN et destiné à investir dans les startups deeptech.
Le tour de table, qui a nécessité huit mois de négociations, implique également d’autres acteurs de poids : CDP Venture Capital (Italie), Sony Innovation Fund (le bras d’investissement du conglomérat japonais) et Join Capital, un fonds berlinois spécialisé dans l’early-stage. Parmi les autres investisseurs figurent Bosch Ventures, Frontier IP Group et Indaco Venture Partners.
Ce financement marque une étape décisive pour notre technologie, à un moment où les limites du silicium deviennent de plus en plus évidentes face aux besoins exponentiels en matière de traitement de données.
Une technologie de rupture pour les communications de demain
CamGraPhIC développe une puce à base de graphène qui utilise à la fois la lumière et les signaux électriques pour transmettre des données. Selon l’entreprise, cette approche hybride offre des performances supérieures aux alternatives basées sur le silicium traditionnel : plus rapide, moins coûteuse et plus économe en énergie.
Le graphène, cette forme de carbone constituée d’une seule couche d’atomes organisés en structure hexagonale, possède des propriétés électroniques exceptionnelles qui en font un matériau révolutionnaire pour l’électronique et la photonique.
Le silicium photonique actuel est performant, mais son avenir est limité car on ne peut aller que jusqu’à un certain point. Avec l’augmentation rapide de la consommation de données pour l’IA, la 5G et la 6G, le matériau actuel est sévèrement mis à l’épreuve.
Comment fonctionne la photonique au graphène ?
La photonique est la technologie qui transforme les données en lumière pour les déplacer dans des câbles à fibre optique. Actuellement, le silicium est largement utilisé dans les circuits photoniques qui équipent les systèmes d’IA, les ordinateurs haute performance et les communications 5G/6G.
Mais le silicium présente des défis majeurs :
- Bande interdite qui empêche les électrons de se déplacer librement
- Faible taux d’extinction, ce qui signifie que la différence entre les états « allumé » et « éteint » du signal lumineux est minime
- Ces problèmes entraînent des signaux déformés et une latence élevée
Le graphène, en revanche, permet une « architecture plus simple capable de délivrer un débit de données bien plus important à un coût bien meilleur », affirme Jensen. Étant un matériau sans bande interdite, il offre une plus grande évolutivité, ainsi qu’aucun risque de problèmes de latence et de bande passante.
Les applications potentielles sont multiples et stratégiques :
- Intelligence artificielle et calcul haute performance
- Communications point à point pour satellites
- Véhicules autonomes
- Imagerie radar
Un projet européen ambitieux
Le financement sera utilisé pour développer les opérations de recherche et développement de la startup à Pise, en Italie, et pour établir une ligne de fabrication pilote à Milan. Ce choix géographique n’est pas anodin et reflète la volonté européenne de repositionner le continent sur l’échiquier des technologies critiques.
Ben Jensen précise que la levée a été réalisée par la société mère de CamGraPhIC, 2D Photonics Spa, et qu’il s’attend à ce que les applications commerciales de la technologie soient prêtes « dans les prochaines années ».
La feuille de route de l’entreprise est claire : développer davantage sa technologie, la mettre à l’échelle, puis externaliser la fabrication avant de vendre aux clients. CamGraPhIC est actuellement à la recherche d’un directeur financier et Jensen prévoit que son équipe passera de 17 à 34 personnes au cours des 12 prochains mois, puis à 68 dans deux ans.
Un conseil d’administration renforcé
La levée de fonds s’accompagne d’une restructuration du conseil d’administration avec l’arrivée de plusieurs personnalités de premier plan :
- Ben Balmforth, senior associate au NATO Innovation Fund
- Antonio Avitabile, directeur général de l’UE au Sony Investment Fund
- Sebastian von Ribbentrop, founding partner chez Join Capital
- Gianmarco Del Bono, investment manager chez CDP Venture Capital
- Neil Crabb, PDG de Frontier IP
Le graphène est souvent présenté comme un matériau miracle depuis sa découverte en 2004, mais nous voyons maintenant ses premières applications commerciales réelles à grande échelle.
Cette levée de fonds intervient dans un contexte où l’Europe cherche à renforcer son autonomie dans les technologies critiques, face à la domination américaine et asiatique dans le secteur des semi-conducteurs. La photonique, considérée comme l’avenir des communications ultrarapides, représente une opportunité stratégique que le vieux continent semble déterminé à saisir.
Pour CamGraPhIC, l’enjeu est désormais de transformer cette promesse technologique en réalité commerciale, dans un secteur où la course à l’innovation ne connaît pas de répit.