Un coup dur pour l’industrie des semi-conducteurs
Les fabricants américains d’équipements pour semi-conducteurs sont en pleine tourmente. Selon des calculs internes de l’industrie, présentés la semaine dernière à des responsables et législateurs à Washington, les nouveaux tarifs douaniers imposés par l’administration Trump pourraient leur coûter plus d’un milliard de dollars par an. Cette information, révélée par deux sources proches du dossier, met en lumière les conséquences potentiellement désastreuses de cette politique commerciale agressive.
Les trois plus grands fabricants américains d’équipements pour puces – Applied Materials, Lam Research et KLA – risquent chacun de subir une perte d’environ 350 millions de dollars sur une année en raison de ces tarifs. Des concurrents de taille plus modeste, comme Onto Innovation, pourraient également faire face à des dépenses supplémentaires se chiffrant en dizaines de millions de dollars.
Des machines ultra-sophistiquées au cœur de la guerre commerciale
Ce qui rend cette situation particulièrement délicate, c’est la nature même des équipements produits par ces entreprises. Il s’agit de machines extrêmement sophistiquées, considérées parmi les plus convoitées au monde dans le domaine de la fabrication de puces électroniques. Chaque équipement peut nécessiter des milliers de pièces spécialisées, souvent importées de différents pays.
Les estimations évoquées lors des discussions à Washington comprennent plusieurs facteurs : pertes de revenus (principalement liées aux ventes manquées d’équipements moins sophistiqués face à la concurrence étrangère), coûts liés à la recherche et l’utilisation de fournisseurs alternatifs pour les composants complexes, et dépenses de mise en conformité avec les nouveaux tarifs (comme l’embauche de personnel pour gérer ces complexités).
Un contexte déjà difficile après les restrictions de Biden
Cette nouvelle menace survient dans un contexte déjà tendu pour l’industrie. Sous l’administration Biden, les fabricants d’équipements pour puces avaient déjà perdu des milliards de dollars de revenus suite à une série de contrôles à l’exportation. Ces mesures visaient à limiter l’expédition d’équipements de fabrication de semi-conducteurs avancés vers des entités chinoises, pour des raisons de sécurité nationale.
« Ces entreprises sont prises en étau entre deux administrations aux approches différentes mais tout aussi restrictives », explique un analyste du secteur qui a souhaité rester anonyme. « D’un côté, les restrictions à l’exportation de Biden, de l’autre, les tarifs douaniers de Trump. »
L’administration Trump temporise mais prépare de nouvelles mesures
Bien que l’administration Trump ait largement suspendu les tarifs de réciprocité annoncés en avril, la menace reste entière. Pour stimuler davantage la production américaine, la Maison Blanche envisage d’imposer des droits supplémentaires à l’industrie des puces et a lancé lundi une enquête sur leurs importations.
Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à rapatrier la production sur le sol américain. Pendant sa campagne et depuis son retour à la Maison Blanche, Trump a répété à plusieurs reprises sa volonté de réduire la dépendance américaine vis-à-vis des importations étrangères, particulièrement dans les secteurs stratégiques comme celui des semi-conducteurs.
Des estimations préliminaires difficiles à établir
Il est important de noter que ces estimations de coûts sont encore préliminaires et pourraient évoluer à mesure que les détails des tarifs de Trump se précisent. Les calculs rapides sont difficiles à établir car chaque outil de fabrication de puces comporte de multiples composants, et le régime tarifaire final reste flou.
Les responsables de l’industrie et les représentants de SEMI, un groupe commercial international, ont discuté de ces coûts avec des législateurs et des responsables de l’administration dans le cadre d’un dialogue continu. Ces discussions témoignent de l’inquiétude croissante du secteur face à ces nouvelles barrières commerciales.
La Chine profite de la situation
Un effet secondaire préoccupant de ces mesures américaines successives est le renforcement de l’industrie chinoise des équipements pour semi-conducteurs. Les contrôles à l’exportation imposés par l’administration Biden ont incité la Chine à investir massivement dans son industrie nationale d’équipements pour puces.
« La Chine voit dans ces restrictions américaines une opportunité de développer sa propre industrie et de réduire sa dépendance technologique », souligne un expert en géopolitique des technologies. « C’est un pari risqué pour les États-Unis, qui pourraient finir par affaiblir leurs propres champions industriels tout en renforçant leurs concurrents chinois. »
Des conséquences au-delà des frontières américaines
L’impact de ces tarifs douaniers pourrait s’étendre bien au-delà des entreprises américaines directement touchées. La fabrication de semi-conducteurs est une industrie mondiale hautement intégrée, où les perturbations dans un maillon de la chaîne peuvent avoir des répercussions en cascade.
Les analystes craignent que ces coûts supplémentaires ne soient finalement répercutés sur les prix des produits électroniques grand public, des automobiles et de nombreux autres biens dépendant des puces électroniques. À l’heure où l’inflation reste une préoccupation majeure pour de nombreux ménages, cette perspective suscite des inquiétudes supplémentaires.
Pour l’instant, les entreprises comme Applied Materials, KLA et Lam Research restent discrètes sur leurs stratégies d’adaptation à ce nouvel environnement commercial. Applied Materials n’a pas répondu aux demandes de commentaires, tandis que KLA et Lam Research ont décliné toute déclaration.
L’industrie des semi-conducteurs, élément central de l’économie numérique mondiale, se retrouve ainsi au cœur des tensions géopolitiques et des stratégies de souveraineté industrielle. L’évolution de cette situation dans les mois à venir sera déterminante non seulement pour les acteurs du secteur, mais pour l’ensemble de l’économie technologique mondiale.