Après des années de flou juridique, le monde des stablecoins américains pourrait enfin voir se profiler un cadre réglementaire clair. Le projet de loi baptisé GENIUS Act (Guiding and Establishing National Innovation in U.S. Stablecoins Act) a franchi une étape cruciale le 13 mars dernier en obtenant l’aval de la commission bancaire du Sénat. Surprise : ce texte, porté par le sénateur républicain Bill Hagerty, bénéficie d’un soutien bipartisan inattendu, avec notamment l’appui de la sénatrice démocrate Kirsten Gillibrand. Une alliance qui laisse présager une adoption rapide du texte, peut-être dès août prochain.
Un cadre à trois niveaux pour encadrer l’émission de stablecoins
Le GENIUS Act propose une approche nuancée pour réguler les stablecoins indexés sur le dollar, en distinguant trois catégories d’émetteurs :
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Les filiales de banques dépositaires: Placées sous la supervision directe de la Réserve fédérale (Fed), ces institutions bénéficieraient d’un encadrement similaire à celui des banques traditionnelles, garantissant ainsi une stabilité maximale. On peut imaginer que les géants de la finance traditionnelle souhaitant se lancer dans l’aventure des stablecoins opteraient pour ce statut.
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Les établissements non bancaires: Ces entités seraient régulées par l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), l’agence fédérale chargée de superviser les banques nationales. Ce niveau intermédiaire vise à encadrer les acteurs déjà présents sur le marché des cryptomonnaies, sans pour autant imposer les mêmes contraintes qu’aux institutions bancaires classiques. C’est probablement la voie que choisiraient des entreprises comme Circle (USDC) ou Paxos.
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Les entités non bancaires de moindre taille: Pour ces acteurs plus modestes, la supervision serait confiée aux régulateurs de chaque État. Cette approche décentralisée vise à éviter d’étouffer l’innovation et à permettre aux petits acteurs de se développer sans être freinés par des exigences trop lourdes. On peut s’attendre à ce que ce niveau attire de nouvelles startups et des projets plus expérimentaux.
Des garde-fous pour garantir la stabilité et la transparence
Au-delà de cette classification, le GENIUS Act impose des règles communes à tous les émetteurs de stablecoins. L’obligation de maintenir des réserves d’actifs suffisantes, notamment pour les stablecoins dont la capitalisation dépasse 10 milliards de dollars, vise à garantir la stabilité du système et à éviter les risques de « bank run ». Des audits mensuels obligatoires renforceront la transparence et permettront aux utilisateurs de vérifier la solidité des réserves.
Une alliance bipartite inattendue : signe des temps ?
Le soutien de Kirsten Gillibrand au GENIUS Act est un signal fort. Traditionnellement sceptique vis-à-vis des cryptomonnaies, la sénatrice démocrate de New York a rejoint les rangs des républicains pro-crypto, tels que Tim Scott et Cynthia Lummis. Cette alliance inattendue témoigne d’une prise de conscience croissante du potentiel des stablecoins et d’une volonté de trouver un terrain d’entente pour encadrer ce secteur en plein essor. L’évolution de la composition du Congrès après les élections de 2024, avec une présence accrue de républicains favorables aux cryptomonnaies et le ralliement de certains démocrates clés, a sans doute joué un rôle déterminant dans ce rapprochement.
Harmonisation des textes et perspectives d’avenir
L’adoption du GENIUS Act par le Sénat n’est qu’une étape. La Chambre des représentants a déjà adopté en 2024 le FIT21, un texte qui établit un cadre plus large pour les cryptoactifs. Les deux chambres devront maintenant travailler de concert pour harmoniser leurs positions et aboutir à un texte unique. Des discussions sont déjà en cours entre les commissions législatives pour rapprocher les deux versions et trouver un compromis acceptable pour tous.
Kristin Smith, directrice de la Blockchain Association, se montre optimiste : « Les commissions législatives travaillent en parallèle pour harmoniser les versions de la Chambre et du Sénat ».
Le GENIUS Act répond également à des points de blocage qui avaient empêché l’adoption de précédentes législations, notamment la supervision des petits émetteurs, désormais confiée aux régulateurs étatiques. Le texte vise également à maintenir la compétitivité des États-Unis face à l’Europe, qui a récemment adopté le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets Regulation).
Des implications majeures pour l’écosystème crypto
L’adoption du GENIUS Act pourrait avoir des conséquences importantes pour l’industrie des stablecoins. Des entreprises comme Circle (USDC) et Tether (USDT) pourraient bénéficier de ce cadre réglementaire clair pour consolider leur position sur le marché mondial.
David Sacks, conseiller crypto à la Maison Blanche, a d’ailleurs confirmé que cette législation était une « priorité de l’administration Trump », au même titre qu’un texte sur la structure des marchés.
Le vote final au Sénat sera donc un moment crucial. Avec un soutien bipartisan renforcé et un calendrier législatif favorable, le GENIUS Act a de bonnes chances de devenir loi. Ce serait une étape majeure pour les stablecoins, qui verraient enfin leur rôle reconnu et encadré dans le système financier américain. L’enjeu est de taille, car cette législation pourrait bien façonner l’avenir de la finance décentralisée et influencer la manière dont les cryptomonnaies seront régulées à l’échelle mondiale.