Le tribunal nigérian de la concurrence et de la protection des consommateurs vient de frapper fort contre les géants de la tech. Meta et sa filiale WhatsApp ont été condamnés à verser une amende colossale de 220 millions de dollars ainsi que 35 000 dollars supplémentaires à la Commission fédérale de la concurrence et de la protection des consommateurs (FCCPC) dans un délai de 60 jours.
Une sanction historique pour des pratiques jugées discriminatoires
Le verdict est tombé hier, et il est sans appel. Le tribunal a rejeté l’appel interjeté par Meta et WhatsApp contre la décision initiale de la FCCPC. Cette amende record sanctionne des pratiques discriminatoires concernant l’utilisation des données personnelles des utilisateurs nigérians.
Le panel de trois membres dirigé par Thomas Okosun a estimé que les géants américains avaient enfreint les lois nigérianes sur la protection des données en partageant les informations des utilisateurs nigérians avec des tiers sans consentement explicite.
Le tribunal ne trouve aucune erreur dans les décisions globales de la FCCPC. En conséquence, les sanctions administratives imposées par la FCCPC à Meta et WhatsApp l’ont été légalement.
Un bras de fer juridique intense
Ce jugement est l’aboutissement d’une bataille juridique acharnée. D’un côté, l’équipe juridique de Meta et WhatsApp, dirigée par le professeur Gbolahan Elias, un avocat principal (SAN), et de l’autre, celle de la FCCPC représentée par Babatunde Irukera, également SAN et ancien vice-président exécutif de la Commission.
Les deux parties avaient présenté leurs arguments finaux le 28 janvier dernier, mais le tribunal n’a rendu sa décision que maintenant.
Meta et WhatsApp avaient avancé pas moins de 22 raisons pour lesquelles la sanction devait être annulée. Parmi leurs arguments :
- Des directives jugées trop vagues
- Des ordres de partage de données injustifiables
- Des erreurs de procédure
- L’impossibilité technique de mettre en œuvre les changements dans les délais imposés
- L’absence de base juridique dans le droit nigérian
Lors des audiences, Elias avait même exhorté le tribunal à ne pas s’appuyer sur des lois étrangères non applicables au Nigeria, soutenant qu’il n’y avait pas d’abus de position dominante puisque les utilisateurs pouvaient se tourner vers d’autres plateformes comme TikTok ou Google Meet.
La FCCPC a riposté en affirmant que l’amende visait à corriger des pratiques discriminatoires plutôt qu’à imposer une simple punition financière. Irukera a insisté sur le fait que Meta se livrait à des pratiques exploitatives violant les garanties constitutionnelles en permettant un accès non autorisé et une utilisation abusive des informations privées.
Des mesures correctives strictes imposées
Au-delà de l’amende, le tribunal a ordonné une série de mesures correctives drastiques :
- Restauration immédiate des droits : Meta doit rétablir le droit des utilisateurs nigérians à déterminer comment leurs données sont partagées
- Confirmation écrite : Une lettre de conformité doit être soumise d’ici le 1er juillet 2025
- Mise à jour des applications : Les applications doivent être modifiées pour permettre aux Nigérians d’exercer pleinement leur droit légitime concernant chaque point de données
- Nouvelle politique : Dans les 10 jours, Meta doit proposer une nouvelle politique à la FCCPC et à la NDPC, qui devra être publiée
- Arrêt du partage de données : Meta doit cesser immédiatement de partager les informations des utilisateurs nigérians avec Facebook et d’autres tiers
- Retour à la politique de 2016 : Retour à la politique de partage des données de 2016
- Consentement explicite : Interdiction de lier les données WhatsApp à Facebook et autres tiers sans obtenir explicitement le consentement des utilisateurs nigérians
Le contexte d’une affaire aux enjeux mondiaux
Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large de durcissement des régulations sur la protection des données personnelles à l’échelle mondiale. L’affaire nigériane rappelle étrangement les sanctions européennes contre les géants de la tech.
En réponse aux accusations, WhatsApp avait précédemment déclaré :
En 2021, nous avons informé les utilisateurs du monde entier sur la façon dont les conversations avec les entreprises fonctionneraient. Bien qu’il y ait eu une confusion initiale, cela s’est avéré assez populaire.
Mais cette défense n’a pas convaincu le tribunal nigérian.
Pour mettre en perspective, cette amende de 220 millions de dollars reste inférieure au record européen : l’an dernier, le Comité européen de la protection des données avait infligé à Meta une amende de 1,2 milliard d’euros pour non-conformité aux réglementations européennes sur la protection de la vie privée.
Ces cinq dernières années, les géants de la tech comme Amazon, Meta et Google ont fait face à des amendes considérables dans le cadre du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne.
Des implications majeures pour l’industrie
Cette décision pourrait avoir des répercussions considérables sur la façon dont les multinationales technologiques traitent les données des utilisateurs dans les pays en développement.
Elle envoie un signal fort que même les marchés émergents exigent désormais le même niveau de protection des données que les économies plus avancées comme l’UE.
Pour Meta, déjà sous pression réglementaire dans plusieurs juridictions, cette sanction s’ajoute à une liste croissante de problèmes juridiques. Seulement deux jours avant cette décision, l’UE avait infligé à Meta et Apple une amende de 700 millions d’euros pour violation des règles sur les grandes entreprises technologiques.
Le tribunal a accordé à Meta et WhatsApp jusqu’au 30 avril 2025, soit dans quelques jours seulement, pour commencer à mettre en œuvre les mesures correctives, et un délai de 60 jours pour régler l’amende de 220 millions de dollars ainsi que les 35 000 dollars de frais d’enquête.
La balle est maintenant dans le camp de Meta qui doit décider de se conformer ou d’explorer d’autres recours juridiques. L’entreprise n’a pas encore fait de déclaration officielle suite à cette décision.