C’est une annonce discrète qui fait l’effet d’une bombe dans l’écosystème tech : Microsoft a confirmé l’arrêt de ses API Bing Search à partir du 11 août prochain. Un outil pourtant essentiel pour de nombreux moteurs de recherche alternatifs et développeurs, qui se retrouvent désormais contraints de trouver rapidement des solutions de remplacement.
Une décision brutale pour l’écosystème des moteurs de recherche
Microsoft a communiqué cette information via un simple email envoyé lundi aux clients concernés et par un bref message sur son site web. Une annonce minimaliste pour une décision aux conséquences majeures pour tout un pan de l’industrie tech.
Ces API, qui permettaient d’accéder directement aux résultats bruts du moteur Bing, étaient utilisées par de nombreux services pour proposer leurs propres solutions de recherche sans avoir à développer leur propre index du web – une opération extrêmement coûteuse et techniquement complexe.
Nous arrêtons les API Bing Search pour nous concentrer sur notre nouvelle offre qui répond mieux à la demande du marché pour des solutions d’IA.
— Donny Turnbaugh, porte-parole de Microsoft
Le géant de Redmond invite les clients actuels à se tourner vers « Grounding with Bing Search », un service intégré à Azure AI Agents qui permet aux chatbots comme ChatGPT d’enrichir leurs réponses avec des données web en temps réel. Problème : cette alternative centrée sur l’IA est loin de répondre aux besoins spécifiques des développeurs qui utilisaient jusqu’ici les API traditionnelles.
Des conséquences à géométrie variable
L’impact de cette fermeture varie considérablement selon le profil des utilisateurs. Selon une source proche du dossier, les plus gros clients conserveront leur accès après le 11 août, tandis que les petits développeurs, moins rentables pour Microsoft, seront coupés plus rapidement.
C’est la version en libre-service qui est retirée, et le service ne sera pas immédiatement impacté.
— Kamyl Bazbaz, porte-parole de DuckDuckGo
Les entreprises qui ont signé des contrats privés à long terme avec Microsoft conserveront leur accès aux API.
— Brian Brown, directeur commercial de Brave
Cette situation pose néanmoins question sur la pérennité de ces accords privilégiés. Microsoft n’a pas souhaité préciser si certains clients seraient définitivement exemptés de cette fermeture, ni si cette décision était motivée par des réductions de coûts. Il faut noter que cette annonce intervient alors que l’entreprise vient de licencier environ 6 000 employés (3 % de ses effectifs) pour « réduire les structures de gestion redondantes ».
Une industrie de la recherche en pleine mutation
Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large de transformation du marché des moteurs de recherche. Depuis l’émergence de ChatGPT et d’autres chatbots IA capables d’aider les utilisateurs à trouver des informations plus efficacement, la concurrence s’est intensifiée pour la première fois depuis des années dans ce secteur longtemps dominé par Google.
Les enquêtes antitrust lancées par les régulateurs américains commencent également à aboutir à des mesures qui pourraient limiter la domination de Google et attirer l’attention du public sur les alternatives. Malgré ces bouleversements, Google n’a pour l’instant perdu qu’une part de marché marginale.
Les API Bing ont longtemps permis aux moteurs alternatifs d’économiser les coûts astronomiques liés au crawling de milliards de pages web et au développement d’un index de recherche complet. Ces outils permettaient de soumettre automatiquement des requêtes et de récupérer des résultats à présenter à leurs utilisateurs, moyennant des frais autrefois abordables.
Au fil des ans, ces API ont alimenté aussi bien des moteurs de recherche généralistes comme DuckDuckGo, Brave et You.com, que des outils plus spécialisés utilisés par des entreprises et des chercheurs pour explorer des segments spécifiques du web.
La hausse des tarifs post-ChatGPT, un premier avertissement
L’arrêt des API n’est pas totalement inattendu pour les acteurs du secteur. Après le lancement de ChatGPT fin 2022, Microsoft avait déjà augmenté les prix de ses API Bing jusqu’à dix fois, justifiant cette hausse par des améliorations apportées à la qualité des résultats.
Cette première inflation tarifaire avait déjà poussé de nombreux utilisateurs à investir dans leurs propres index du web, un exercice devenu moins coûteux au fil du temps grâce aux nouvelles technologies. Malgré cela, selon une source proche du dossier, les API Bing continuaient de servir des milliers de clients.
J’utilisais les API Bing pour interroger une longue liste de noms d’hôpitaux et récupérer leurs URLs. La recherche manuelle est plus fastidieuse, et cette ‘monstruosité IA’ vers laquelle Microsoft se tourne est bien plus compliquée que nécessaire.
— Tim Libert, chercheur en confidentialité numérique
Des alternatives limitées
Si Mojeek, Brave, You.com et Exa proposent encore des outils similaires à ceux que Microsoft retire, aucune solution ne semble aussi robuste ou complète que les API Bing. Comme le soulignent plusieurs développeurs, des centaines d’ingénieurs travaillent sur Bing, tandis que les startups disposent de ressources comparativement limitées.
Tout ce qui secoue le marché de la recherche est bon.
— Colin Hayhurst, PDG de Mojeek
Richard Socher, PDG de You.com, indique que son API est devenue une source de revenus significative pour sa startup.
Un retournement de situation ironique
L’ironie de la situation n’échappe à personne : alors que Microsoft coupe l’accès à ses données de recherche, Google pourrait être contraint de s’ouvrir davantage. Le géant de Mountain View a récemment perdu un procès antitrust intenté par le Département américain de la Justice, et un juge fédéral devrait ordonner des mesures correctives plus tard cette année.
Parmi les options envisagées figure l’obligation pour Google de partager davantage ses données de recherche avec ses concurrents. Microsoft, qui a témoigné que la qualité des résultats de Bing a été entravée par une utilisation et des données limitées, pourrait être l’une des premières entreprises à faire la queue pour y accéder.
Une situation qui illustre parfaitement les bouleversements actuels dans l’industrie de la recherche en ligne, où les cartes sont en train d’être totalement rebattues entre concurrence des IA conversationnelles, pressions réglementaires et repositionnements stratégiques des géants de la tech.