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    Mumbai et BharatNet : l’ambitieuse quête du gouvernement indien pour connecter tout le pays

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    Le gouvernement indien, dans son Union Budget 2025, a promis d’assurer la connectivité Internet pour l’ensemble des écoles secondaires et centres de santé publique. Pourtant, malgré cette ambition affichée, la réalité semble bien plus contrastée. En janvier 2025, via le programme BharatNet, seulement 1,99 lakh de villages sur 6,5 lakh – soit 30,4 % – bénéficiaient d’un accès au haut débit.

    Réseau de fibre optique BharatNet
    Déploiement de l’infrastructure de fibre optique pour connecter les villages indiens dans le cadre du programme BharatNet. Source : C4S Courses

    Un projet aux ambitions démesurées

    Lancé en 2011, le programme BharatNet est né d’un projet audacieux visant à connecter les gram panchayats (conseils villageois) à une infrastructure de fibre optique. L’idée était de donner à chaque village un accès à des services numériques de pointe afin de dynamiser l’éducation, la santé et l’e-gouvernance. Toutefois, avec des délais successifs repoussés – 2014, 2015, 2019, 2023 et à nouveau 2025 – le projet peine à atteindre ses objectifs initiaux.

    Initialement baptisé National Optical Fibre Network (NOFN), le dispositif a vu, en 2009, la présidente Pratibha Patil annoncer dans l’enceinte du 15e Lok Sabha un projet visant à doter chaque gram panchayat de fibre optique. En 2012, la création de Bharat Broadband Network Limited (BBNL) devait concrétiser cette vision. Rapidement, le projet fut renommé « BharatNet » pour refléter l’ampleur de l’engagement national.

    Selon Deepak Maheswari, conseiller principal en politiques publiques au Centre for Social and Economic Progress (CSEP), « les principaux défis de BharatNet tiennent aux objectifs sans cesse évolutifs, aux échéances repoussées et au manque de coordination avec d’autres acteurs capables de tirer parti de la connectivité ». Cette coordination fait défaut à plusieurs niveaux, tant au niveau des partenaires publics que privés.

    Les différentes phases du programme

    1. Phase I (2011 – 2014) : L’objectif initial était de connecter 100 000 gram panchayats d’ici 2014. En réalité, seuls 58 gram panchayats avaient été reliés au réseau en mars 2014, un retard considérable qui a mis en lumière les difficultés du terrain.
    2. Phase II (2015 – prolongée jusqu’en août 2023) : Cette seconde phase visait à ajouter 150 000 gram panchayats supplémentaires. Malgré une progression, seulement 86,75 % (soit environ 2,13 lakh) des gram panchayats ont pu être connectés d’ici à la date limite repoussée.
    3. Phase III (jusqu’à 2025) : L’objectif ultime est de relier l’ensemble des 6,5 lakh villages au réseau principal de fibre. Pour y parvenir, le programme mise sur des approches innovantes, notamment via des partenariats public-privé impliquant des villageois entrepreneurs désignés sous le nom de BharathNet Udyamis.

    Ces étapes emblématiques illustrent à la fois l’ambition et les difficultés inhérentes à la réalisation d’un tel projet à l’échelle nationale.

    Les défis d’infrastructure et logistiques

    L’un des principaux problèmes identifiés dans le déploiement de BharatNet réside dans l’approche initiale adoptée pour assurer la connectivité de la « last mile ». Au départ, BBNL avait confié aux fournisseurs de services télécom, tels que BSNL, la tâche de poser la fibre optique jusqu’aux gram panchayats. Ces derniers devaient ensuite sous-traiter l’installation de la connexion finale dans les villages, à l’image des opérateurs de câbles dans les métropoles. Cependant, dans de nombreuses zones rurales, l’absence d’opérateurs télécom s’est révélée être un frein majeur.

    Une étude récente de l’ICRIER (Indian Council for Research on International Economic Relations) a souligné qu’en misant sur les prestataires existants, le programme n’avait pas anticipé le manque de couverture dans les zones reculées. Forcée d’évoluer, l’approche s’est déplacée du simple raccordement des gram panchayats vers une optique de « last-mile connectivity » qui consiste à acheminer la connexion jusqu’aux foyers. Pour améliorer la stabilité du réseau, une topologie en anneau – offrant plusieurs routes de redondance pour connecter un village – a été adoptée.

    Malgré la mise en place d’un vaste réseau, le constat reste amer : moins de 1,19 % de la bande passante disponible est utilisée en milieu rural, et seuls 2 % des ménages bénéficient d’une connexion Fibre-to-the-Home (FTTH) selon les données de février 2023. Un décalage entre investissement et utilisation qui compromet l’impact escompté du programme.

    Connectivité dans les écoles et centres de santé
    Mise en place de la connectivité haut débit dans les écoles secondaires et les centres de santé primaires en milieu rural. Source : Convergence India

    La question du financement et l’allocation des fonds

    Le financement de BharatNet repose sur le fonds de service universel, rebaptisé désormais Digital Bharat Nidhi. Sur un budget total de ₹171 588,7 crores, seulement environ 49,6 % avaient été dépensés d’ici août 2023. Le sous-financement partiel ne résulte pas d’un manque de fonds réels, mais d’une insuffisance de capacité d’absorption et d’exécution des fonds par les États.

    Selon Deepak Maheswari, « le véritable défi ne réside pas dans l’argent, mais dans l’incapacité des États à bien gérer et utiliser les fonds disponibles en raison de changements de périmètre du projet, d’externalisations excessives et de modifications constantes du modèle de gouvernance ». L’évolution d’un modèle centralisé vers une gestion étatique puis privée a également complexifié la répartition des responsabilités.

    Le manque de coordination avec des entités locales, des problèmes logistiques comme la faible fourniture d’électricité, et des difficultés liées à l’obtention de droits de passage pour installer l’infrastructure sur des terrains divers compliquent la tâche. Des inefficacités chez certains entrepreneurs et contractants viennent également alourdir la charge de travail – autant de facteurs qui retardent sérieusement le déploiement.

    Pour remédier à ces soucis, le gouvernement a lancé en décembre 2024 le programme Amended BharatNet qui prévoit une garantie de dix ans pour l’exploitation et l’entretien du réseau via un Centre centralisé de gestion des opérations (CNOC) et des paiements basés sur des accords de niveau de service (SLA) avec les agences d’exécution.

    Un manque criant de planification et de contrôle

    Outre les problèmes structurels, le manque de planification et de systèmes de suivi rigoureux semble miner le projet. Des rapports, comme celui publié par Indian Express, font état de difficultés particulières sur des terrains difficiles, notamment dans les régions du nord-est de l’Inde. Alors que la moyenne nationale pour les gram panchayats « prêts à fournir le service » s’établissait à 42 % en Phase I, certaines zones du nord-est n’atteignaient même pas 10 %. Fin 2023, seulement 60 % des gram panchayats de ces régions étaient opérationnels, bien loin de la moyenne nationale de 79 %.

    L’absence d’un mécanisme de contrôle indépendant et transparent aggrave encore la situation. Bien que des audits tiers soient prévus dans le cadre de BharatNet, aucun rapport public ne permet de vérifier l’efficacité réelle du programme, ce qui laisse planer le doute sur la survenue de retards injustifiés et de mauvaises gestions.

    Des répercussions sur l’éducation, la santé et l’e-gouvernance

    Les conséquences des retards et insuffisances de BharatNet se font sentir sur plusieurs secteurs clés. Dans le domaine de l’e-gouvernance, de nombreux services publics souffrent d’un manque d’infrastructures adaptées. Par exemple, l’accès aux centres d’Aadhaar, indispensable pour l’obtention de documents officiels et l’inscription à divers services gouvernementaux, est limité par une connectivité médiocre.

    « Dans la plupart des modèles d’e-gouvernance, l’absence d’une infrastructure adéquate – comme le manque de centres Aadhaar disponibles – crée une barrière pour les populations les plus vulnérables », explique Chakradhar Buddha, chercheur senior à Libtech. Il souligne également l’impact sur les habitants des zones tribales où, malgré une forte probabilité de naissances non institutionnelles, l’obtention d’un certificat de naissance numérique, condition préalable à l’inscription à Aadhaar, reste un défi majeur.

    L’éducation n’est pas en reste. Des données gouvernementales indiquent que seulement 24 % des écoles publiques disposent d’un accès à Internet. Ce manque de connectivité a été particulièrement flagrant durant la pandémie de Covid-19, lorsque l’enseignement s’est déplacé vers des plateformes en ligne. Les étudiants des zones rurales se sont retrouvés démunis face à l’insuffisance des infrastructures numériques, amplifiant ainsi les inégalités éducatives.

    Le secteur de la santé, lui aussi, se voit pénalisé. La faible couverture Internet freine la mise en œuvre de la télémédecine et d’autres initiatives numériques, qui auraient pourtant pu révolutionner la prise en charge des patients dans les zones reculées. Selon un rapport de décembre 2024, les agents de santé de l’Haryana ont dû recourir simultanément aux systèmes papier et numériques, alourdissant leur charge de travail et compromettant la qualité des services.

    Des initiatives pour pallier les insuffisances

    Conscients de l’importance d’une connectivité fiable pour transformer l’éducation, la santé et l’administration publique, les responsables gouvernementaux ne chôment pas. Le dernier plan, dévoilé dans le cadre de la mission National Broadband Mission 2.0 en janvier 2025, prévoit de connecter 90 % des institutions clés (écoles, centres de santé, etc.) d’ici à 2030. Une enveloppe budgétaire de ₹20 000 crores a été allouée pour accélérer le développement de BharatNet.

    Les experts recommandent également de mettre en place des mesures incitatives pour favoriser l’adoption de ces infrastructures. Par exemple, un dispositif de subvention pour l’achat d’appareils et des bons de recharge pour les opérateurs télécom pourraient réduire l’écart entre la disponibilité du réseau et son utilisation effective au niveau des foyers. Cette approche viserait à lutter contre le manque de sensibilisation et la basse littératie numérique, souvent relevée comme un obstacle à l’impact du programme.

    Points de vue des acteurs du secteur

    Les avis émanent tant des experts que des responsables politiques et industriels interrogés. Neeraj Mittal, président de la Digital Communications Commission, reste prudent quant aux délais et affirme :

    « Les défis actuels montrent que le modèle de déploiement doit être repensé pour s’adapter aux réalités locales. La coordination entre les acteurs publics et privés est essentielle pour surmonter les difficultés d’acheminement de la connectivité dans ces régions rurales. »

    Devendra Kumar Rai, secrétaire conjoint au ministère des Télécommunications, souligne l’importance de revisiter les objectifs du programme :

    « Nous visant aujourd’hui à connecter non seulement les institutions publiques mais aussi à favoriser une adoption plus large des technologies numériques pour permettre une meilleure inclusion sociale. »

    Enfin, Ravi A. Robert Jerard, PDG de BBNL, insiste sur l’aspect opérationnel :

    « La transition vers un modèle de maintenance sur dix ans avec le CNOC permettra d’assurer une continuité dans les services et d’améliorer significativement la qualité de la connectivité dans les zones rurales. »

    Un enjeu crucial pour l’Inde de demain

    Au-delà des chiffres et des délais non tenus, le projet BharatNet symbolise la volonté de l’Inde de rattraper son retard numérique et de réduire la fracture digitale entre zones rurales et urbaines. Malgré les nombreux obstacles – retards, sous-utilisation des infrastructures, problèmes logistiques et manque de coordination – l’initiative demeure un pilier important dans la transformation numérique du pays. Sa réussite pourrait non seulement stimuler l’économie, mais également améliorer significativement l’accès aux services essentiels tels que l’éducation et la santé dans les régions les plus reculées.

    Le chemin reste long et parsemé d’embûches, mais chaque pas vers une connectivité accrue est une avancée vers un avenir plus inclusif et digitalisé pour des millions d’Indiens. Les récentes annonces du budget de l’Union et la mise en œuvre progressive de nouvelles stratégies de suivi et de maintenance témoignent d’une prise de conscience collective. En attendant que les objectifs de Phase III soient pleinement atteints d’ici à 2025, l’évolution de BharatNet continue de susciter de vifs débats et demeure un sujet incontournable d’actualité dans le paysage technologique et social du pays.

    Pour en savoir plus sur le sujet et suivre l’évolution du programme, vous pouvez consulter les rapports de BBNL et celui de ICRIER.

    Agathe Marchand
    Agathe Marchandhttps://www.technofeed.fr
    Spécialisée en technologies financières, j’ai guidé des organisations dans leur transformation numérique et l’adoption de solutions blockchain. Sur TechnoFeed, j’éclaire l’univers des Cryptomonnaies et du Digital, simplifiant les concepts complexes pour aider chacun à comprendre les mutations du monde connecté.

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