Palantir et l’ICE : un mariage de raison qui fait grincer des dents (encore)
Palantir, la discrète mais puissante firme de la Silicon Valley, renforce un peu plus ses liens avec l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), l’agence américaine chargée de l’immigration et des douanes. Un nouveau contrat, estimé à près de 30 millions de dollars selon 404 Media, vient d’être accordé à la société pour améliorer le système de gestion des enquêtes de l’ICE (ICM). Ce renforcement de partenariat intervient malgré les vives critiques qui entourent déjà la collaboration entre les deux entités et soulève de nouvelles interrogations quant à l’éthique de l’utilisation des technologies de surveillance dans le contexte migratoire.
Une collaboration ancienne et controversée
L’histoire entre Palantir et l’ICE ne date pas d’hier. Dès 2014, la société a décroché un contrat de 41 millions de dollars pour développer l’ICM, une plateforme permettant de centraliser les données de surveillance et les informations sur les migrants, qu’ils soient en situation régulière ou non. Ce système, conçu pour faciliter les enquêtes criminelles, a atteint sa « pleine capacité opérationnelle » en 2017 sous l’administration Trump, une période marquée par un durcissement des politiques migratoires.
Déjà à l’époque, ce partenariat avait suscité une vague de protestations. En 2019, des étudiants de plusieurs universités américaines avaient appelé au boycott de Palantir, dénonçant son implication dans les expulsions de migrants. La société s’était alors défendue en minimisant son rôle, affirmant se limiter à des « fonctions techniques ».
Un nouveau contrat qui ravive les tensions
Ce nouveau contrat de près de 30 millions de dollars, accordé en avril 2025, vient jeter de l’huile sur le feu. Il fait suite à un accord de 90 millions de dollars sur cinq ans signé en septembre 2022, montrant l’importance croissante de Palantir pour l’ICE. Un appel d’offres du Department of Homeland Security (DHS), publié en septembre 2024, laisse également entrevoir la poursuite de cette collaboration pour la gestion de l’ICM, avec un budget estimé à plus de 100 millions de dollars.
Ce renforcement des liens entre Palantir et l’ICE intervient dans un contexte de critiques croissantes vis-à-vis des technologies de surveillance et de leur utilisation par les gouvernements. Des associations de défense des droits de l’homme s’inquiètent de l’opacité de ces systèmes et du risque de dérives, notamment en matière de discrimination et de violation de la vie privée. Elles accusent Palantir de « profiter de la souffrance humaine » et de « normaliser » des pratiques migratoires controversées.
Palantir : entre innovation et controverse
Palantir, fondée par Peter Thiel, co-fondateur de PayPal, s’est spécialisée dans l’analyse de données massives. Ses logiciels, Gotham (pour la défense) et Foundry (pour les entreprises), sont utilisés par des gouvernements et des entreprises du monde entier pour traiter des informations complexes et identifier des tendances.
La société s’est rapidement imposée comme un acteur incontournable du secteur de la sécurité, collaborant avec des agences gouvernementales américaines comme le Pentagone (elle a notamment repris le contrat Project Maven après le retrait de Google) et des services de renseignement. Son expansion internationale se poursuit également, avec des contrats au Royaume-Uni, notamment avec le National Health Service (NHS), qui ont eux aussi suscité des controverses.
Date | Montant (USD) | Objet | Source |
---|---|---|---|
2014 | 41 millions | Développement initial de l’ICM | Documents historiques |
Septembre 2022 | 90 millions | Contrat sur 5 ans | 404 Media |
Avril 2025 | ~30 millions | Amélioration de l’ICM | 404 Media |
Septembre 2024 | > 100 millions | Recompétition pour la gestion de l’ICM | Documents DHS |
Des questions éthiques sans réponse
L’expansion de Palantir et ses collaborations avec des agences gouvernementales soulèvent des questions éthiques cruciales. L’opacité de ses algorithmes, la nature sensible des données traitées et le risque de biais inquiètent les défenseurs des libertés individuelles.
« Comment concilier innovation technologique et respect des droits fondamentaux ? » , s’interrogent les associations de défense des droits de l’homme.
Des employés de Palantir ont eux-mêmes exprimé leurs préoccupations quant à l’éthique des activités de l’entreprise, notamment concernant les contrats avec l’ICE. En 2018, des salariés avaient interpellé le PDG Alex Karp sur ce sujet, sans obtenir de réponse satisfaisante.
Le cas Palantir illustre les défis posés par l’utilisation croissante des technologies de surveillance par les États. La puissance de ces outils, capables d’analyser des quantités massives de données, offre des perspectives inédites en matière de sécurité et de gestion des flux migratoires. Mais elle pose également des questions fondamentales sur la protection de la vie privée, la transparence des décisions algorithmiques et le risque de dérives autoritaires. L’avenir dira si les garde-fous nécessaires seront mis en place pour encadrer l’utilisation de ces technologies et garantir le respect des droits fondamentaux.