L’ancien PDG d’Intel, Pat Gelsinger, tourne définitivement la page après quatre années mouvementées à la tête du géant des microprocesseurs. Évincé en décembre dernier, il annonce aujourd’hui son arrivée comme associé général chez Playground Global, un fonds de capital-risque spécialisé dans les technologies de rupture.
Nouvelle carrière dans le capital-risque
Après 45 ans dans l’industrie technologique, dont plus de 30 ans chez Intel, Gelsinger opère un virage à 180 degrés. Dans une interview accordée à CNBC, l’ancien dirigeant explique avoir envisagé de créer sa propre structure d’investissement avant de se raviser : « C’est une question d’échelle », confie-t-il, ajoutant que partir de zéro aurait nécessité « 10 années difficiles pour y parvenir ».
Playground Global n’est pas un acteur quelconque du capital-risque. Fondé en 2015 par un groupe comprenant Andy Rubin, le créateur d’Android, ce fonds se concentre sur les investissements early-stage dans la deep tech. Une orientation qui colle parfaitement avec l’expertise technique de Gelsinger.
Gelsinger ne débarque pas en terrain totalement inconnu dans l’univers des startups. Il avait déjà réalisé quelques investissements personnels dans des entreprises comme Gloo (logiciel de communication pour églises), Oura (fabricant de bagues connectées) et Fractile (développeur de puces pour l’IA).
Un rôle déjà défini chez xLight
L’ex-patron d’Intel ne perd pas de temps. Il rejoint immédiatement le conseil d’administration de xLight, une société du portfolio de Playground Global qui développe des technologies laser pour la fabrication de semi-conducteurs. Un domaine qu’il connaît sur le bout des doigts après son passage chez le géant des puces.
Ce positionnement est cohérent avec l’expertise technique de Gelsinger, qui fut le premier directeur technique (CTO) d’Intel avant de quitter l’entreprise en 2009 pour rejoindre successivement EMC puis VMware, où il occupa le poste de PDG.
Un parcours tumultueux chez Intel
Le retour de Gelsinger chez Intel en 2021 avait suscité beaucoup d’espoir. L’entreprise traversait alors une période difficile, handicapée par des retards dans la sortie de nouvelles générations de processeurs face à ses concurrents.
Sous sa direction, Intel a opéré un virage stratégique majeur en se recentrant sur la fabrication de semi-conducteurs, avec des investissements massifs dans le développement de puces pour d’autres entreprises (fonderie). Cette stratégie a culminé en mars 2024 avec l’attribution par l’administration Biden de 8,5 milliards de dollars de financement dans le cadre du CHIPS and Science Act, visant à relocaliser la production de semi-conducteurs aux États-Unis.
Malgré ces efforts, les performances d’Intel sont restées décevantes. L’entreprise a continué à perdre des parts de marché et s’est fait distancer par Nvidia dans le domaine de l’IA, ce qui a entraîné une chute vertigineuse de sa valorisation boursière. En 2024, la capitalisation d’Intel s’est effondrée de 60%, sa pire performance en plus de cinquante ans d’existence en tant que société cotée.
En décembre, le conseil d’administration d’Intel a finalement annoncé le « départ à la retraite » de Gelsinger, un euphémisme qui cachait mal une mise à l’écart. Début mars, l’entreprise a nommé Lip-Bu Tan, ancien PDG de Cadence Design Systems, pour prendre sa succession.
Une tendance chez les ex-PDG d’Intel
Fait intéressant, Gelsinger n’est pas le premier ancien PDG d’Intel à se tourner vers le capital-risque. Son prédécesseur, Bob Swan, avait rejoint la célèbre firme Andreessen Horowitz en 2021 comme growth operating partner, quelques mois après son départ du fabricant de puces.
Cap sur l’IA et l’informatique quantique
Dans ses nouvelles fonctions, Gelsinger s’intéresse particulièrement à deux domaines technologiques prometteurs : l’intelligence artificielle et l’informatique quantique.
Concernant l’IA, il suit avec attention l’introduction en bourse de CoreWeave, une entreprise qui loue des GPU Nvidia à des géants comme Microsoft, Nvidia et OpenAI. « Ils ont évidemment su surfer sur la vague des centres de données à grande échelle pour le calcul d’IA », analyse-t-il, tout en s’interrogeant : « La question est de savoir quelle sera leur différenciation durable ? »
Mais c’est surtout l’informatique quantique qui semble captiver le nouveau capital-risqueur. Il se réjouit de pouvoir travailler avec PsiQuantum, une autre société du portefeuille de Playground Global. Cette startup est actuellement en train de lever plus de 750 millions de dollars à une valorisation de 6 milliards de dollars, avec BlackRock comme chef de file du tour de table.
Selon Gelsinger, les ordinateurs quantiques vont « impacter matériellement les structures informatiques avant la fin de cette décennie ». Un enthousiasme qui contraste avec le positionnement d’Intel dans ce domaine, alors que l’entreprise avait annoncé son premier processeur quantique, baptisé Tunnel Falls, en 2023, mais n’a pas été mentionnée dans le récent programme d’évaluation de la DARPA qui inclut PsiQuantum et Microsoft.
Regard sur Intel
Malgré son éviction, Gelsinger garde un œil bienveillant sur son ancien employeur. « Je crois certainement qu’Intel est essentiel pour l’industrie des semi-conducteurs », déclare-t-il, souhaitant bonne chance à Lip-Bu Tan. « Vous devez concevoir et fabriquer des technologies de pointe », ajoute-t-il, comme un dernier conseil à son successeur.
Cette reconversion de Gelsinger intervient à un moment critique pour l’industrie des semi-conducteurs, entre course à l’IA, tensions géopolitiques et révolution quantique naissante. Son expertise technique pourrait bien faire de lui un investisseur particulièrement avisé dans ces domaines de pointe.