Synopsys-Ansys : la Chine joue les prolongations, le rachat à 35 milliards de dollars dans le flou
L’acquisition d’Ansys par Synopsys, un mastodonte de 35 milliards de dollars, est toujours en suspens. Annoncée début 2024, cette fusion qui donnerait naissance à un géant des logiciels de conception et simulation électronique, attend le feu vert de Pékin. Alors que l’échéance du premier semestre 2025 se rapproche dangereusement, l’ombre des tensions sino-américaines plane sur l’opération. Décryptage d’un dossier aux enjeux colossaux.
Un parcours réglementaire semé d’embûches
Si l’Union européenne, le Royaume-Uni et la Corée du Sud ont donné leur accord – assorti de conditions strictes –, la Chine fait de la résistance. L’aval de la SAMR (State Administration for Market Regulation) est crucial pour finaliser le rachat. Pékin a bien réceptionné le dossier le 10 juillet 2024, mais reste muet depuis.
Le casse-tête de la concurrence :
Les régulateurs internationaux s’inquiètent, à juste titre, des conséquences de cette fusion sur la concurrence, notamment dans les domaines de l’analyse de puissance et de la photonique. Synopsys-Ansys détiendrait, selon les estimations, entre 55% et 100% des parts de marché sur ces segments clés. Cessions d’actifs et engagements pour préserver une concurrence « équitable » ont été les conditions sine qua non des accords préalables.
En Corée du Sud, par exemple, la FTC a imposé la vente d’actifs concurrents dans les six mois suivant la fusion. Comme l’expliquait Lee Byung-geon, responsable des fusions-acquisitions à la FTC sud-coréenne : « La décision vise à protéger l’ordre du marché et la concurrence équitable, notamment pour les fabricants de semi-conducteurs locaux comme Samsung ».
La Chine, arbitre du destin de la fusion :
L’incertitude chinoise est d’autant plus préoccupante que les États-Unis, bien qu’ayant laissé passer le délai légal pour s’opposer à la fusion (HSR Act), continuent de discuter avec Synopsys de potentiels ajustements. Taïwan et la Turquie sont également dans l’attente. Mais c’est bien Pékin qui détient la clé du dossier.
Guerre commerciale et enjeux géopolitiques
Difficile d’ignorer le contexte géopolitique tendu. La guerre commerciale sino-américaine, marquée par des droits de douane punitifs, pèse lourdement sur les relations bilatérales. Si les documents officiels n’établissent pas de lien direct entre ce conflit et le dossier Synopsys-Ansys, nombreux sont les experts à craindre une instrumentalisation politique.
La technologie, arme de dissuasion massive :
La Chine pourrait être tentée d’utiliser ce rachat comme levier dans sa bataille technologique avec les États-Unis. Pékin cherche à tout prix à réduire sa dépendance aux technologies américaines, notamment dans les secteurs stratégiques comme les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle. Bloquer ou retarder la fusion pourrait servir de monnaie d’échange face aux restrictions américaines.
L’enjeu de la souveraineté technologique :
Les logiciels de Synopsys et Ansys sont essentiels à la conception de puces électroniques et à la simulation multi-physique, des domaines critiques pour l’industrie et la défense. « La fusion remet en question l’équilibre entre innovation et souveraineté technologique. La Chine pourrait exiger des garanties supplémentaires pour éviter que les technologies critiques ne soient contrôlées par une entité dominée par les intérêts américains », confiait une source proche du dossier. Pékin pourrait exiger des concessions importantes, comme des transferts de technologie ou des limitations d’accès au marché chinois.
Un pari risqué pour Synopsys
Synopsys joue gros dans cette opération. Le rachat d’Ansys représente un investissement colossal et un pari stratégique pour l’avenir. Les synergies potentielles sont importantes : optimisation des flux de travail, économies d’échelle estimées à 400 millions de dollars par an, et expansion dans des secteurs porteurs comme l’aérospatial et l’automobile.
Le spectre du retard :
Mais chaque jour qui passe accroît le risque financier et stratégique. Un retard important pourrait compromettre les synergies escomptées et impacter la capacité de Synopsys à capitaliser sur le boom du marché des puces, notamment pour l’IA. Comme le souligne un rapport du GFMC (Graduate Finance Management Council), « Ce délai inquiète les investisseurs, car chaque mois de retard pourrait affecter la capacité de Synopsys à capitaliser sur les opportunités croissantes du marché des puces pour l’IA ».
L’épée de Damoclès des cessions supplémentaires :
Au-delà du retard, le risque de concessions forcées par Pékin est bien réel. Des cessions d’actifs supplémentaires, au-delà de celles déjà consenties auprès d’autres régulateurs, pourraient affaiblir considérablement la valeur stratégique du rachat pour Synopsys.
L’avenir de la fusion Synopsys-Ansys reste donc incertain. La décision de la Chine, attendue avec impatience, aura des conséquences majeures sur le paysage technologique mondial et témoignera, une fois de plus, de l’importance croissante des enjeux géopolitiques dans le monde de l’innovation. Au-delà des aspects économiques et concurrentiels, ce rachat est devenu un symbole de la lutte pour la domination technologique entre les États-Unis et la Chine.
