L’histoire d’amour entre les Américains et les bonnes affaires de Temu pourrait bien tourner au vinaigre. La plateforme chinoise, filiale de PDD Holdings et véritable temple de la consommation à prix cassés, se retrouve en première ligne de la guerre commerciale relancée par l’administration Trump. Des droits de douane plus agressifs menacent son modèle économique, basé sur des prix défiant toute concurrence et une chaîne logistique optimisée à l’extrême. Alors que des analystes comme eMarketer prévoyaient des ventes record de 30 milliards de dollars aux États-Unis pour 2025, l’avenir de Temu outre-Atlantique semble aujourd’hui plus incertain que jamais.
La fin de l’eldorado du « de minimis » ?
Le succès fulgurant de Temu aux USA repose en grande partie sur une astuce réglementaire : l’exemption de minimis. Cette règle, vieille comme le monde (ou presque, elle date des années 1930 !), permet aux colis d’une valeur inférieure à 800 dollars d’échapper aux droits de douane. Une aubaine pour les plateformes chinoises comme Temu et son concurrent Shein, qui ont inondé le marché américain de vêtements, gadgets et autres babioles à des prix ridiculement bas, concurrençant frontalement des géants comme Walmart ou Target. Imaginez : un deux-pièces à 3,19 dollars, un lot de sept brassières à 12,69 dollars… Difficile de résister !
Mais la fête est finie (ou presque). Donald Trump, dans sa volonté de relancer l’industrie américaine, a décidé de s’attaquer à cette faille. L’augmentation des tarifs douaniers (on parle de 10% supplémentaires sur les importations chinoises) et le renforcement des contrôles douaniers frappent de plein fouet le modèle de Temu. Non seulement les marges de l’entreprise fondent comme neige au soleil, mais les délais de livraison, argument phare pour séduire le consommateur impatient, risquent d’exploser. Comme l’explique Neil Saunders, expert retail chez GlobalData, Temu n’a que deux options : « supporter le coup » en rognant sur ses profits, ou répercuter la hausse des coûts sur le consommateur.
« Demi-custodie » : une solution miracle ou un cautère sur une jambe de bois ?
Pour contrer cette offensive protectionniste, Temu a dû revoir sa copie en matière de logistique. Fini la gestion centralisée de A à Z : la plateforme expérimente un nouveau système de « demi-custodie ». Concrètement, Temu encourage ses fournisseurs chinois à expédier leurs produits en vrac directement vers des entrepôts situés sur le sol américain, transférant ainsi la responsabilité logistique aux marchands eux-mêmes.
Avantage : réduire les coûts de stockage et d’expédition centralisés.
Inconvénient : les vendeurs chinois, souvent de petites structures, se retrouvent à gérer des aspects complexes comme les déclarations douanières et les transports internes aux USA, avec le risque de voir leurs coûts exploser. Et qui dit augmentation des coûts pour les vendeurs, dit potentiellement augmentation des prix pour le consommateur final. Adieu les deals imbattables ? Pas forcément. Les experts prévoient une hausse modérée, de l’ordre de 10 à 20 cents par dollar. Une augmentation qui, multipliée par des millions d’articles vendus, pourrait néanmoins peser lourd dans la balance.
L’onde de choc de la guerre commerciale
L’impact des nouvelles mesures protectionnistes dépasse largement le cas Temu. La suppression de l’exemption de minimis, qui concernait des milliards de colis en 2023, menace des milliers de PME américaines qui s’approvisionnent en Chine pour proposer des produits à prix compétitifs. Le spectre de l’inflation plane également sur l’économie américaine. Selon une enquête de l’Université du Michigan, la confiance des consommateurs a chuté de 5% en février 2025, atteignant son plus bas niveau depuis juillet 2024. L’incertitude règne, et les consommateurs craignent de faire les frais de cette guerre commerciale.
Les acheteurs craignent que les tarifs ne deviennent trop tardifs pour éviter un impact négatif.
— Joanne Hsu, directrice des enquêtes sur les consommateurs à l’Université du Michigan
Même l’Union Postale Américaine, brièvement submergée par l’afflux de colis chinois et hongkongais, a dû s’adapter en urgence, promettant de mettre en place un « mécanisme collectif efficace » pour gérer ce nouveau flux. Reste à voir comment les douanes américaines, déjà surchargées, parviendront à absorber ce tsunami de colis.
Temu à la croisée des chemins : diversification et incertitude
Face à l’adversité, Temu tente de diversifier ses sources d’approvisionnement, notamment en ouvrant des centres logistiques aux États-Unis et en Irlande. Son concurrent Shein, sentant le vent tourner, a même revu ses plans d’introduction en bourse. Mais pour ces géants du fast-fashion, la marge de manœuvre reste limitée.
De nombreux produits bon marché dépendant de l’exemption ne seront plus disponibles.
— Sheng Lu, expert en économie de la mode
Malgré des milliards de dollars de capitalisation boursière évaporés début 2025, Temu résiste. La plateforme peut compter sur une base de consommateurs fidèles, accros aux bonnes affaires. Mais son avenir dépend désormais de sa capacité d’adaptation dans un contexte commercial de plus en plus hostile. Les récentes annonces de Trump ne sont sans doute que le premier acte d’une vaste réorganisation du e-commerce mondial. L’ère du shopping online ultra low-cost touche peut-être à sa fin.
