L’avenir d’Ubisoft s’écrit en pointillés. Englué dans des difficultés financières et sous la pression des actionnaires, l’éditeur français explore des solutions radicales pour valoriser ses franchises phares. Selon Bloomberg, Ubisoft envisagerait de créer une entité regroupant ses licences les plus prestigieuses – Assassin’s Creed, Far Cry, Just Dance, pour ne citer qu’elles – et d’en céder une partie du capital à des investisseurs, notamment le géant chinois Tencent. Ce tour de passe-passe financier permettrait, en théorie, d’évaluer ces actifs à un prix supérieur à celui d’Ubisoft, actuellement plombé par une série de revers. Décryptage d’une situation explosive.
La descente aux enfers d’Ubisoft : un contexte tendu
Depuis 2023, Ubisoft accumule les mauvaises nouvelles. Le cours de son action a dégringolé (chute de 40% depuis janvier 2024), des titres majeurs comme Skull and Bones et Avatar: Frontiers of Pandora se sont soldés par des échecs commerciaux cuisants, le très attendu Assassin’s Creed: Shadows subit report sur report, et la stratégie axée sur les jeux en service (live service) est fraîchement accueillie par les joueurs. En octobre 2024, Bloomberg révélait déjà que Tencent (détenteur de 9,2% du capital) et la famille Guillemot (20,5% des droits de vote) étudiaient des scénarios de rachat, voire de privatisation de l’entreprise.
En janvier 2025, Ubisoft a confirmé avoir mandaté des conseillers pour explorer des « options transformationnelles », sans plus de précisions. Lors d’une conférence téléphonique tendue avec les investisseurs, Yves Guillemot, PDG, et Frédéric Duguet, directeur financier, sont restés muets face aux rumeurs d’un rachat par Tencent, malgré l’insistance d’actionnaires activistes comme AJ Investments.
Une entité dédiée aux IP phares : pari risqué ou coup de génie ?
L’idée de créer une structure dédiée aux franchises historiques repose sur plusieurs arguments :
- Valorisation à la carte : Des licences comme Assassin’s Creed (13 milliards de dollars de revenus cumulés) ont une valeur intrinsèque bien supérieure à celle d’Ubisoft dans sa globalité, pénalisée par des coûts de développement exorbitants et des retours sur investissement décevants sur ses productions récentes.
- Souplesse stratégique : Une scission permettrait à Ubisoft de se recentrer sur son cœur de métier (le développement) tout en attirant des capitaux frais pour financer de nouveaux projets via cette filiale.
- L’appétit des investisseurs : Tencent, déjà partenaire stratégique depuis 2018, pourrait y voir une opportunité de renforcer son emprise sur le marché occidental du jeu vidéo, notamment après l’acquisition de Donjons & Dragons et son expansion dans le secteur de l’animation.
Les ombres au tableau : risques et défis
Ce scénario, aussi séduisant soit-il sur le papier, soulève des interrogations cruciales :
- Mainmise sur les IP : La famille Guillemot, traditionnellement opposée à toute perte de contrôle, exigera sans doute de conserver une majorité au sein de cette nouvelle entité.
- Obstacles réglementaires : Tencent, récemment qualifié d’entreprise « militaire » par les États-Unis, pourrait se heurter à des difficultés pour augmenter sa participation dans des actifs culturels sensibles.
- Frayeur des fans : Une cession partielle pourrait inquiéter la communauté des joueurs quant à l’avenir de leurs licences préférées, à l’image des réactions négatives suscitées par les partenariats avec des sociétés tierces pour des jeux live service.
Tencent : un chevalier blanc aux dents longues
Le géant chinois, déjà actionnaire de Riot Games, Epic Games et Universal Music Group, voit en Ubisoft un tremplin stratégique pour conquérir le marché occidental. Son expertise dans les jeux mobiles et sa capacité à financer des projets ambitieux sur le long terme pourraient donner un second souffle à des franchises en sommeil comme Prince of Persia ou Splinter Cell.
L’avis des marchés : entre espoir et scepticisme
Les investisseurs, notamment l’activiste AJ Investments, restent dubitatifs face à la gestion actuelle d’Ubisoft. Un rachat par Tencent pourrait rassurer les marchés en injectant des liquidités, mais les inquiétudes persistent quant à la gouvernance et à la valorisation résiduelle de l’entreprise. Bloomberg évoque la possibilité d’une recapitalisation d’Ubisoft, qui offrirait une bouffée d’air frais à ses studios en difficulté, comme Ubisoft Québec, à l’origine d’Assassin’s Creed Odyssey.
L’éventuelle création de cette nouvelle entité marquerait un tournant majeur dans l’industrie du jeu vidéo. Les franchises emblématiques deviendraient des actifs financiers autonomes, ouvrant la voie à de nouvelles stratégies de financement et de développement. Ubisoft devra jongler avec les exigences des investisseurs, le désir de contrôle de la famille Guillemot, et la fidélité de sa communauté. L’avenir nous dira si ce pari audacieux permettra à l’éditeur français de retrouver sa gloire d’antan, ou s’il précipitera sa chute.
