Une nouvelle génération « hors du cercle »
Pour comprendre l’approche de Feng Ji, il faut d’abord saisir le contexte du trading quantitatif en Chine. Ce marché, relativement récent par rapport aux États-Unis et à l’Europe, a connu deux vagues distinctes. La première génération, apparue vers 2013 suite à un assouplissement réglementaire, était composée de traders chinois talentueux revenus de Wall Street. Ces pionniers ont posé les bases du secteur et dirigent aujourd’hui les plus grands fonds du pays.
Nous venons de l’extérieur, sans aucune formation en finance. Nous considérons le trading quantitatif comme une simple tâche d’IA, d’exploration et d’analyse de données. Rien de spécial.
— Feng Ji
L’approche holistique contre la division traditionnelle
Là où un fonds quantitatif classique divise son équipe en fonctions distinctes (recherche de facteurs, génération de signaux, modélisation, élaboration de stratégies), Baiont adopte une vision globale : toutes ces étapes sont considérées comme une seule et même tâche d’apprentissage automatique, abordée avec un modèle de fondation unique.
C’est comme avant ChatGPT : les entreprises de traitement du langage avaient des équipes séparées pour la séparation des mots, l’étiquetage, l’analyse, etc. Maintenant, ChatGPT peut tout faire en même temps avec le même modèle.
— Ji
Cette approche présente deux avantages majeurs :
- Prédictibilité des améliorations : comme pour ChatGPT, l’équipe peut planifier les futures générations de son modèle et le temps nécessaire pour y parvenir.
- Rentabilité : « Au lieu d’embaucher 50 personnes pour trouver des facteurs, nous utilisons 100 GPU et une seule personne qui écrit l’algorithme. Le résultat est meilleur et beaucoup plus rapide. »
Une équipe réduite mais surpuissante
Baiont gère près de 7 milliards de yuans (environ 970 millions de dollars) avec une équipe d’à peine 30 personnes. Deux tiers se consacrent à la recherche, principalement à l’amélioration des algorithmes et du modèle de fondation propriétaire.
Sur nos 30 employés, nous avons 13 médaillés d’or en compétitions d’informatique. La ‘densité’ de médailles d’or dans notre équipe est probablement supérieure à celle de n’importe quel géant technologique.
— Ji
Selon lui, le trading quantitatif concentre aujourd’hui la plus forte proportion de génies en IA : 80% des meilleurs talents en machine learning sont à Wall Street, et seulement 20% dans la Silicon Valley.
Une approche qui privilégie le court terme
L’équipe de Baiont a construit son propre modèle, spécialement adapté aux données de marché, bien plus complexes que les données linguistiques. Leur spécialité ? Le trading à court terme, de quelques minutes à quelques heures.
C’est ce que l’IA fait de mieux : prévoir la météo à court terme est très fiable car on capte beaucoup de signaux. Les signaux à court terme sont relativement prévisibles, et nous avons analysé suffisamment de données pour faire des prédictions de qualité.
— Ji
Le processus est continu : évaluation en temps réel des prédictions de différents signaux, calcul d’un score global, puis construction d’une combinaison dynamique de transactions.
L’absence totale d’analyse fondamentale
Fait surprenant pour les investisseurs traditionnels : Baiont ne s’intéresse pas aux fondamentaux des entreprises. « Les facteurs fondamentaux et les données alternatives changent très peu au cours de la journée. Nous nous appuyons principalement sur les données de trading. Le cœur des fluctuations de prix à court terme est piloté par les données de trading. »
Les facteurs fondamentaux et les données alternatives changent très peu au cours de la journée. Nous nous appuyons principalement sur les données de trading.
— Feng Ji
Cette approche rappelle celle de certains hedge funds américains comme Renaissance Technologies, qui mise exclusivement sur les modèles mathématiques sans tenir compte des facteurs économiques traditionnels.
Des journées de travail façon institut de recherche
L’ambiance chez Baiont est décontractée : « Pas de code vestimentaire – shorts et claquettes sont la norme. » L’équipe arrive avant l’ouverture des marchés, programme et discute de son travail, puis évalue les performances avant la clôture. S’ensuivent quelques expériences supplémentaires et des discussions sur des articles scientifiques.
La différence entre nous et un institut de recherche, c’est que nous avons de meilleures ressources. Nous construisons notre propre puissance de calcul. Plus vous avez de capacité de calcul, plus vous obtenez rapidement des résultats et plus vous êtes efficace.
— Ji
Des ambitions mondiales
Actuellement concentré sur les marchés chinois, Baiont envisage de s’étendre aux principaux marchés internationaux.
À moyen terme, nous voulons bâtir un fonds quantitatif natif de l’IA de classe mondiale depuis la Chine.
— Ji
Les grands modèles de langage ne sont pas nécessairement la meilleure utilisation de l’IA.
— Ji
L’exemple de DeepSeek, issu d’un fonds quantitatif
L’émergence de DeepSeek, startup chinoise d’IA issue de High-Flyer (l’un des plus grands fonds quantitatifs de Chine), illustre parfaitement cette fertilisation croisée entre quantitatif et IA générative. DeepSeek a notamment apporté des contributions clés à la réduction des coûts d’ingénierie et à l’amélioration de l’efficacité de communication entre GPU.
Cela vient naturellement aux traders quantitatifs, car nous quantifions le temps en nanosecondes ou microsecondes, alors que les entreprises internet traditionnelles fonctionnent à l’échelle des secondes, ou au mieux des millisecondes.
— Ji
Pour Feng Ji, cette évolution vers l’IA n’est pas optionnelle : « Dans trois ans, les gérants quantitatifs qui n’auront pas achevé leur transformation IA seront éliminés par le marché. L’espace devient de plus en plus compétitif, et l’apprentissage automatique deviendra un outil essentiel. Il n’y a aucune raison de ne pas l’adopter. »
Retrouvez l’intégralité des entretiens de la série AI Exchange du Financial Times ici.